B.Ythier, C.Durant (Cité de la tapisserie d’Aubusson): “Le travail de numérisation en gigapixels permet une immersion originale du visiteur”

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Temps de lecture : 9 min

Le dimanche 10 juillet 2016, le président François Hollande inaugurait la nouvelle Cité internationale de la tapisserie au sein du bâtiment de l’ancienne École Nationale d’Art Décoratif (ENAD) d’Aubusson entièrement réhabilité à cet effet.. Ce lieu a été mis en place comme une réponse à l’inscription des savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2009. Ce nouvel équipement de 8,5 millions d’euros HT est porté par un syndicat mixte réunissant le Conseil Départemental de la Creuse, la Région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes et la Communauté de communes Creuse Grand Sud.  Il propose une offre de médiation largement numérique. Le CLIC France a posé quelques questions aux équipes de la Cité.

Les réponses à nos questions ont pour auteurs

  • Bruno Ythier, conservateur de la Cité internationale de la tapisserie
  • Cécile Durant, chargée de projet à la Cité internationale de la tapisserie
  • Guillaume Jacquemin, designer interactif chez Buzzing Light

Pouvez-vous présenter en quelques lignes et quelques chiffres le chantier en réhabilitation de l’ENAD pour l’ouverture de la Cité internationale de la tapisserie ?

AUBUSSON-064-©DanielRousselot-2
©Daniel Rousselot

Le chantier en réhabilitation de l’ancienne École Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson a donné naissance à la Cité internationale de la tapisserie, qui a ouvert ses portes dimanche 10 juillet 2016. Ce chantier, mené par l’agence d’architecture Terreneuve, a duré 18 mois seulement pour un total de 3 ans et 10 mois entre la désignation de la maîtrise d’œuvre et l’ouverture au public.

C’est un chantier hors-normes, bien en deça des ratios habituellement admis pour ce type d’équipement : le mètre-carré aura coûté, en travaux purs, 1200 € HT et 1000 € HT pour la muséographie, signée par Frédérique Paoletti et Catherine Rouland.

Le projet a été soutenu par le département de la Creuse et l’Etat ; quels sont les montants de ces aides et/ou leur part dans le budget global ?

Le Conseil départemental de la Creuse a apporté 1,62 millions d’euros au projet. La part de l’État représentait quant à elle 2,26 millions d’euros. Mais ce ne sont pas les seuls financeurs : la région Nouvelle Aquitaine a apporté 1,5 millions d’euros, l’Union Européenne 600 000 euros dans le cadre du FEDER, et l’intercommunalité, la communauté de communes Creuse Grand Sud, a apporté 750 000 euros.

Enfin, des mécènes privés (Fondation Crédit Agricole – Pays de France, Fondation Bettencourt Schueller, Entreprise ATL) ont apporté 223 000 euros.

Sans titre

Avez-vous eu des financements dédiés particulièrement aux outils numériques ? La Fondation Bettencourt Schueller a-t-elle soutenu des outils numériques comme elle l’a fait aux Arts Décoratifs ?

En 2012, c’est-à-dire en amont du projet, la Cité internationale de la tapisserie a fait partie des lauréats de l’appel à projets numérisation du Ministère de la Culture et de la Communication. Ceci a permis de numériser en très haute définition plusieurs pièces des collections. Ces numérisations sont aujourd’hui un des contenus principaux de nombreuses tablettes présentes sur le parcours d’exposition.

La Fondation Bettencourt Schueller a quant à elle financé les outils de médiation numérique de la section « Les Mains d’Aubusson », consacrée à la découverte des savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson. Outre les tablettes numériques, cette section est équipée d’un jeu interactif permettant au visiteur de « tisser » numériquement une tapisserie, que le visiteur peut ensuite s’envoyer par mail ou partager sur son compte Facebook.

De la taille d’un petit métier à tisser (écran tactile 4K 65 pouces LG avec dalle tactile multipoint PQ Lab), il permet au visiteur de comprendre les techniques de base du tissage et leur impact dans le rendu de la tapisserie (taille du point, dégradés de couleurs, laine…). Sur un modèle prédéfini élaboré par les équipes de la Cité, le visiteur fait différents choix de rendus et une tapisserie virtuelle se tisse automatiquement. Les rendus de textiles ont été réalisés par la société Pixtil et les animations par la graphiste Elsa Perry. Le développement interactif du jeu a été réalisé par l’entreprise Buzzing Light.

jeu-interactif

La Fondation Bettencourt Schueller a également soutenu un dispositif de médiation autour d’une tapisserie de 1909, La Fée des Bois, numérisée en ultra haute définition (1 500 dpi à échelle 1) par l’entreprise italienne Haltadefinizione. Ce dernier projet a également bénéficié du soutien de l’Union Européenne à travers le Fonds Européen de Développement Économique Régional (FEDER région ALPC).

Des tablettes sont présentes au fil du parcours : quels contenus présentent-elles ?

Dans deux sections du parcours d’exposition, les tablettes sont en fait les supports des cartels. Dans le grand espace d’exposition qu’est la Nef des tentures, les tablettes constituent un complément d’un guide de visite distribué à l’entrée du musée. Elles apportent des informations relatives notamment à la composition des pièces, au savoir-faire et à la technique. On peut ainsi « plonger » dans certaines œuvres pour les découvrir au détail près.

Les premiers visiteurs à la Cité de la Tapisserie à Aubusson par Culturebox – (c) J. Piperaud / P. Coussy / M. Haranger

Quelles sont les fonctionnalités et l’interactivité proposées par ces tablettes ?

Dans la Nef des tentures, six tablettes permettent au visiteur d’observer des détails dans les œuvres, en sélectionnant des points d’intérêts placés sur une photo gigapixels de la tapisserie. Ces informations contextuelles révèlent des techniques de tissage particulières, des anecdotes ou contribuent à l’aide de photos à la compréhension de l’œuvre.

Chaque tablette propose aussi une vue générale de la construction globale de l’œuvre et permet de visualiser le sens du tissage de la tapisserie. Enfin, sans interaction des visiteurs, les tablettes diffusent un lent panoramique sur la tapisserie accompagné de son titre et son auteur, remplissant ainsi le rôle d’un cartel conventionnel.

© France 3 / Culturebox
© France 3 / Culturebox

Dans les espaces « Tapisseries du monde » et « Les Mains d’Aubusson », les 14 tablettes affichent sur une page d’accueil tous les objets présents dans le secteur de la tablette. En cliquant sur un objet, des informations textuelles (titre, matériaux, explications, …) et multimédia (images, photos, sons, …) s’affichent. Les objets sont regroupés aussi par thèmes/catégories permettant ainsi de mieux comprendre leurs liens.

Combien y-a-t-il de tablettes et quelles sont leurs caractéristiques techniques ?

Le musée est équipé d’une vingtaine d’iPad Pro 12.9 pouces de très haute résolution (2732 x 2048 pixels à 264 dpi) qui permettent d’afficher des images précises et des rendus de texte très fin, sans voir de pixels. Les iPads sont placés dans des housses en cuir réalisées à la main sur mesure et sont contrôlés et managés par le show control blink développé par Buzzing Light.

Quel a été leur budget ? Quelle entreprise les a conçues ?

Les interfaces graphiques et les développements interactifs ont été conçus et développés par Buzzing Light, en complicité avec les équipes de la Cité et sous la direction artistique des architectes muséographes Frédérique Paoletti et Catherine Rouland. L‘entreprise Cadmos a quant à elle proposé, testé, installé et configuré les tablettes. Le budget de développement des cartels est de 9 000 euros.

(c) Elsa Perry
(c) Elsa Perry

Vous avez mené la numérisation en ultra haute définition de la tapisserie La Fée des Bois : comment va être présentée cette numérisation au sein du parcours ?

Ce travail de numérisation en ultra haute définition va ouvrir un espace muséographique original en préambule de la section « Les Mains d’Aubusson », consacré aux savoir-faire de la tapisserie d’Aubusson. Le visiteur pourra s’immerger dans les images et le tissage pour préparer sa découverte des aspects techniques de la tapisserie.

Les lignes architecturales du bâtiment ont été exploitées pour mettre en valeur cette pièce : vue de loin, elle est précédée de trois rangées de trois écrans, présentés en 2×9 écrans recto-verso : d’un côté, le visiteur voit un lent travelling dans le gigapixel de l’arrière de la tapisserie ; de l’autre côté, parfaitement synchronisé avec l’envers, on voit la tapisserie de face.

Sur quel matériel va être diffusé la numérisation en ultra haute fidélité ?

Les vidéos-travelling ont été conçues par l’entreprise Cadmos et sont diffusées dans des écrans NEC haute luminosité connectés à des lecteurs vidéos Brightsign.

La Fée des bois (détail), d'après Antoine Jorrand, Manufacture Crocq-Jorrand, 1909.
La Fée des bois (détail), d’après Antoine Jorrand, Manufacture Crocq-Jorrand, 1909.

Quel a été le coût de la numérisation et de l’installation dans le parcours ? Quelle entreprise a conçu cette diffusion immersive ?

C’est l’entreprise italienne Haltadefinizione qui réalisa la numérisation en 2012 pour un montant de 5.000 euros, grâce au soutien du programme européen LEADER. C’est l’entreprise Cadmos qui a mis en place le dispositif, en étroite relation avec les équipes de la Cité et les architectes muséographes Frédérique Paoletti et Catherine Rouland.

Vous avez eu recours au crowdfunding avec la Fondation du Patrimoine pour faire l’acquisition de “Verdure fine aux armes du Comte de Brühl” : pourquoi avoir fait appel à la Fondation du Patrimoine et non à une plateforme de financement participatif (Culture Time, Ulule, MyMajorCompany…) ?

Nous avions d’abord lancé une campagne de crowdfunding pour l’acquisition de cette pièce sur une importante plateforme de financement participatif mais cela n’a pas fonctionné. Nous nous sommes alors tournés vers la Fondation du Patrimoine, ce qui nous a permis de relancer la campagne et d’atteindre notre objectif. Il faut noter que c’est dans le département de la Creuse que la Fondation du Patrimoine enregistre le plus haut niveau de don par habitant chaque année.

Quel était l’objectif de la campagne ?

La campagne a duré environ 6 mois. L’objectif était de 15.000 euros, et c’est le montant que nous avons récolté.

Vous avez lancé une nouvelle campagne de financement participatif, cette fois sur le site Agoradon pour acquérir une tapisserie de Man Ray : pourquoi être allé sur une plateforme de financement participatif cette fois ?

Tout simplement pour réessayer et voir comment les choses peuvent se passer trois ans après notre première tentative. Voir la campagne.

FireShot Screen Capture #340 - 'La Cité internationale de la Tapisserie Aubusson' - agoradon_com_fr_project_la-cite-internationale-de-la-tapisserie-au

Quelle va être votre stratégie de communication pour cette campagne qui s’achèvera début août ?

Parallèlement à cette opération de financement participatif, un concours photo a été lancé : le Dada Pics Contest. Ce concours photo « dada » est ouvert à tous, chacun peut participer soit via la page Facebook dédiée, soit en envoyant son cliché par mail. Le gagnant verra sa photo réalisée en tapisserie numérique par l’entreprise Néolice, installée à Felletin (près d’Aubusson), et exposée à côté de l’œuvre tissée d’après Man Ray. Cette opération est aussi régulièrement relayée sur nos comptes sociaux et sur nos supports de communication.

Un corpus de documents patrimoniaux immatériels va être mis en ligne sur le site internet de la Cité : quelles seront les fonctionnalités de cette base de donnée ?

Une partie de ce corpus (interviews de lissiers, vidéos d’archives, documentaires, etc.) est déjà en ligne sur le site de la Cité internationale de la tapisserie, en accès libre. Il vient compléter une ligne éditoriale qui cherche à la fois à mettre en avant les différentes actualités de la Cité et un contenu de fond sur la tapisserie d’Aubusson. Les éléments numérisés sont répertoriés avec des tags qui permettent de les faire remonter dans chaque recherche effectuée.

Un projet de numérisation des correspondances d’artistes avec l’École Nationale d’Art Décoratif d’Aubusson est en cours : quelle quantité de documents vont être numérisés ?

Une évaluation de ce fond est actuellement en cours. Un budget de mécénat doit permettre de numériser un certain nombre de ces documents. La quantité de documents numérisés dépendra des méthodes de numérisation et de leur montant face aux fonds alloués.

Comment seront valorisés ces documents numérisés ?

C’est une sorte de teasing : certains documents seront mis en ligne pour mettre en perspective l’actualité de la Cité. Par exemple, nous publions des newsletters d’actualité et des newsletters hors-série, à la manière d’un magazine. Les newsletters hors-série permettent, à partir d’un élément de notre actualité, de remonter le fil pour apporter un éclairage plus poussé sur nos activités et la tapisserie d’Aubusson en général.

Les documents numérisés s’inscrivent dans cette logique. Ils pourront être envoyés aux personnes qui le demandent selon l’usage que nos interlocuteurs souhaiteront en faire.

La Cité de la tapisserie a une forte présence sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Google+, Scoop it, Pinterest…)…quelle est votre stratégie sur les réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux sont effectivement très investis dans notre communication. Nous utilisons de façon prioritaire Facebook et Twitter, avec deux grands axes : montrer que la tapisserie est un savoir-faire vivant, en écho à l’inscription de la tapisserie d’Aubusson sur la liste représentative du Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco, et faire découvrir les différentes activités d’une institution culturelle, avec une approche « coulisses » conviviale, de proximité.

Les autres réseaux sociaux ont plutôt une fonction de support, à l’instar de YouTube qui nous permet par exemple de mettre en ligne le corpus déjà mentionné.

FireShot Screen Capture #342 - 'Cité internationale de la tapisserie - Aubusson' - www_facebook_com_Aubusson_CitArt

Avez-vous de futurs projets innovants ?

Nous avons lancé au mois de mai un appel à projets textiles innovants. Les candidatures sont closes depuis le 28 juin, nous allons les étudier prochainement. Certains des candidats proposeront peut-être un projet mêlant textile et numérique.

Propos recueillis par mail le 13/07/2016

Photos: © Cité internationale de la tapisserie d’Aubusson, Elsa Perry, France 3 / Culturebox, Daniel Rousselot

Date de première publication: 14/07/2016

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