Francine Clément (Thot Cursus) “La réalité augmentée entre au musée”

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Temps de lecture : 8 min

Shelley Mannion, responsable des programmes d’apprentissage numérique au British Museum, a publié deux articles sur la réalité augmentée et sur les expériences qu’elle a menées au sein de la célèbre institution londonienne.

Les expériences du British Museum

Le premier article, en anglais, publié sur Museum iD, relate les projets exploratoires de réalité augmentée utilisée dans un contexte d’éducation muséale. On y définit d’abord la réalité augmentée comme la possibilité de voir ou d’entendre, dans un contexte donné, une information pertinente superposée à ce que l’on voit dans le monde réel. On présente dans cet article une intéressante classification des types d’interactions offertes par les outils de cette nouvelle technologie. On en explique aussi, brièvement, les aspects techniques des codes QR, des marqueurs de RA, ces derniers plus esthétiques et acceptables dans une exposition muséale, de la géolocalisation, utilisée plus facilement hors les murs. On présente également des applications de visionnement et de création de contenus de réalité augmentée, certaines gratuites.

D’abord, la réalité augmentée peut être un outil qui s’apparente au guide touristique, un outil d’exploration, par exemple de bâtiments ou d’espaces patrimoniaux dans une ville, un quartier. Les points d’intérêt se présentent sur une carte géographique à lire sur un appareil mobile qui fonctionne grâce aux outils de géolocalisation. Le projet Musée Urbain MTL du Musée McCord, à Montréal en est un exemple. On y fait superposer des images historiques à des points de vue actuels de la ville à l’aide de marqueurs placés au sol. ClunyVision en est un autre exemple, à l’aide de laquelle le visiteur peut superposer à la réalité actuelle des gravures anciennes, des photographies et dans ce cas précis, des restitutions virtuelles et des vues panoramiques interactives de la cité médiévale. On donne donc à voir, à l’aide de collections historiques, l’aspect d’un lieu extérieur tel qu’il était dans le passé, quand on s’y trouve physiquement.

Un autre dispositif de réalité augmentée, que Shelley Mannion rapproche de la médiation et de l’interprétation, peut fonctionner à partir de la reconnaissance de forme par une webcam ; elle en donne un exemple où le visiteur se regardant sur un écran ou un miroir interactif, et en fonction des marqueurs qu’il porte, par exemple sur ses vêtements, y voit des images en lien avec la collection du musée, superposées sur sa propre image.

L’auteure présente un troisième type de réalité augmentée, inspiré d’expériences en art médiatique. Des artistes se servent de dispositifs de RA pour exposer leurs oeuvres dans des musées, parfois sans permission, comme ça a été le cas récemment à la Biennale de Venise en 2011. Ces expositions numériques non autorisées, superposées ou juxtaposées à des événements réputés qui sélectionnent attentivement les participants, posent la question très intéressante du contrôle de l’espace virtuel, comme le fait remarquer Shelley Mannion dans son article. L’un des projets du BM est inspiré de ces expériences artistiques : des dessins créés par des visiteurs et inspirés par les objets exposés en salle, sont superposés virtuellement aux objets de la collection exposés dans les galeries. Les créations sont visibles par les visiteurs sur les appareils mobiles munis d’application de lecture de contenus de réalité augmentée. À l’usage, Shelley Mannion mentionne s’être rendu compte que le classement en catégories des différentes expériences et projets réalisés au BM, utile au départ, s’estompait et que les divers types d’interactions possibles en réalité augmentée se fondaient dans des projets hybrides. On peut visionner une présentation de Shelley Mannion donnée lors du colloque AR 2011 et qui traite également de ses projets en réalité augmentée.

L’auteure rappelle également, et très justement, que l’une des forces de la réalité augmentée est de donner la possibilité d’offrir de multiples interprétations et des contenus divers aux visiteurs, sans encombrer l’espace réel des salles d’exposition, une préoccupation de toujours pour les commissaires, conservateurs et médiateurs. Elle suggère par ailleurs qu’une bonne façon de choisir les dispositifs de réalité augmentée dans un musée serait d’étudier les expériences réussies et essayer de voir comment les utiliser avec sa propre collection. Les possibilités sont déjà nombreuses : reconstructions virtuelles de bâtiments, de salles ou d’objets volumineux grâce à la modélisation 3D, points de vue multiples dans un même espace ou dans un même parcours destinés à des publics aux besoins divers, retour virtuel à la vie d’êtres vivants -animaux, plantes- disparus, à l’aide d’animations 3D. La réalité augmentée, qui n’en est qu’à ses premiers balbutiements, permettra, selon l’auteure, de créer des expériences engageantes et significatives pour le visiteur.

Dans un autre article publié en 2012 sur cblog Le blog de la culture et du numérique de culture.fr, en français cette fois-ci, Shelley Mannion décrit les expériences du British Museum avec la RA à l’intérieur du Samsung Digital Discovery Centre, une instance qui prend en charge les programmes d’apprentissage numérique pour le musée, et dont la mission est “de permettre la rencontre entre les méthodes pédagogiques traditionnelles et les nouvelles technologies”.

L’une de ces expériences a été pensée pour les jeunes visiteurs : ceux-ci avaient à faire une collecte d’images 3D dans les salles d’exposition. Des marqueurs, disposés près des objets réels, permettaient d’avoir accès à ces images grâce à une application de réalité augmentée sur des appareils mobiles. Avec leur collection d’images enregistrées sur l’appareil, ils pouvaient se créer leur propre livre en lien avec le thème de l’exposition (Le livre des morts) qu’ils pouvaient par la suite imprimer et rapporter à la maison.

Une deuxième expérience a été réalisée avec des classes d’adolescents. Des marqueurs de localisation à l’intérieur des salles permettaient de donner une information de position et d’orientation du visiteur à l’application, grâce à laquelle, en faisant faire un tour de 360 degrés dans la salle à l’appareil mobile, on voyait y apparaître des objets 3D en réalité augmentée devant certains objets réels de l’exposition. Les participants adolescents ont mentionné leur intérêt pour l’exposition et l’activité lors de l’évaluation. Il semble que des dispositifs de réalité augmentée soit un moyen de rejoindre ce public difficile. C’est ce qui ressort également d’une étude au sujet d’une autre expérience de réalité augmentée, celle-là en provenance de l’Asian Civilisations Museum à Singapour, rapportée dans une présentation de Museums and the Web 2012 faite par Cherry Thian, Augmented Reality – What Can We Learn From It? et dont une partie des résultats révèle que les visiteurs âgés de 15 à 22 ans ont été les plus intéressés par l’application de réalité augmentée, tandis qu’on a noté une très grande diminution de l’intérêt chez les visiteurs de 30 ans et plus.

Analyses et réflexions sur les débuts de la réalité augmentée dans le monde muséal

En 2012, l’édition Musées du rapport de recherche Horizon Report du New Media Consortium (NMC), un comité d’experts du domaine des technologies en éducation, et du MIDEA, le Marcus Institute for Digital Education in the Arts, présente les technologies qui seront généralement adoptées par les musées à court, à moyen et à long terme. Selon les spécialistes consultés -praticiens et théoriciens- et l’étude menée, la réalité augmentée disponible sur les appareils mobiles sera l’une des technologies largement présente dans les institutions muséales d’ici deux à trois ans.

Sur le wiki créé à la suite de la sortie du rapport, on rappelle les particularités de la réalité augmentée, dont la capacité de s’adapter, de répondre à la réaction de l’utilisateur. On y mentionne aussi que les applications basées sur la reconnaissance de marqueurs tend à disparaître au profit de celles qui fonctionnent à l’aide de la reconnaissance d’images, les marqueurs -moins esthétiques- disparaissant de l’environnement. On y rapporte enfin que le monde de l’éducation – et forcément celui de l’éducation muséale- adopte la réalité augmentée qui utilise la géospatialisation parce qu’elle crée une expérience d’apprentissage immersive plus authentique.

Sur ce wiki, des questions sont posées sur les résultats de l’étude. À l’automne 2012, les participants y ont répondu et les ont commentées en apportant leur point de vue nuancé sur la réalité augmentée dans le monde muséal. On pose d’abord la question de la pertinence de cette technologie dans les musées qu’ils connaissent : les réponses sont variées. On peut notamment y lire que la réalité augmentée offre un potentiel fantastique pour tout ce qu’on ne peut pas voir autrement, tout ce qui ne peut pas faire l’objet de démonstration ou d’interactions, ou ce qui est difficilement imaginable par les visiteurs. Un répondant affirme cependant qu’actuellement, son utilisation est trop coûteuse pour la plupart des musées. Un autre vante le fait qu’on peut l’utiliser sur des interfaces variées : téléphones intelligents, tablettes, et pour très bientôt, les lunettes. On pourrait ajouter à cette liste les lentilles cornéennes, l’une des possibles interfaces de réalité augmentée présentées à la First International Virtual Heritage School, organisée par V-Must et l’ICCROM à Paestum en novembre dernier et à laquelle nous avons participé. Un participant familier des musées d’art, (ssbautista) décrit les possibilités de la RA dans ce type d’institution : présenter des nouveaux artistes dans l’espace muséal traditionnel, traiter l’art classique d’une manière ludique, superposer des photographies ou des peintures historiques qui ont le même sujet à des oeuvres d’art contemporain, exposer virtuellement des oeuvres comparables à celles qui se trouvent en vrai sur les murs des salles d’exposition, ou encore exposer dans des environnements immersifs des oeuvres qui ne peuvent pas, pour une raison ou une autre, sortir des réserves.

Dans un article intitulé Museums 2.0: What Happens When Great Art Meets New Media?, Arianna Huffington rappelait, en 2010, en reprenant les propos de Nicholas Carr dans son livre The Shallows: What the Internet Is Doing to Our Brains, que : “there needs to be time for efficient data collection and time for inefficient contemplation, time to operate the machine and time to sit idly in the garden.” Il ne faut pas oublier, en effet, que les musées sont aussi des espaces de contemplation et que celle-ci, toute non technologique qu’elle soit, peut donner lieu à des découvertes et contribuer au bonheur du visiteur. On pourrait ajouter, peut-être à tort, et peut-être est-ce un réflexe d’ancienne étudiante amoureuse des bibliothèques, que la façon dont les dispositifs de réalité augmentée donnent à l’utilisateur ou au visiteur de musée la possibilité d’avoir facilement accès à l’information, le prive, d’une certaine manière, du plaisir éprouvé à trouver ce que l’on cherchait après avoir fait une recherche approfondie et y avoir consacré tous ses efforts. Les prochaines années verront où nous mèneront ces dispositifs de réalité augmentée dont nous ne soupçonnons pas encore toutes les possibilités, y compris, sans doute, la contemplation esthétique et le plaisir de l’effort intellectuel.

Auteur: Francine Clément | f.clement@cursus.edu

Article paru le 22 janvier 2013 sur le site canadien Thotcursus

LIENS

British Museum – Augmented Reality: Beyond the Hype

British Museum : Explorer les cultures anciennes à travers le prisme de la réalité augmentée par Shelley Mannion sur cblog.culture.fr 

Rapport NMC Edition Musées 2012

What is Augmented Reality?, NMC Horizon Report 2012 Museum Edition Wiki

Musée urbain MTL, Musée McCord

ClunyVision

Augmented Reality – What Can We Learn From It? par Cherry Thian, Aisan Civilisations Museum

À VOIR AUSSI

La Réalité Augmentée sur appareils mobiles : Comment ça marche ? texte d’Aurore Le Moigne et Claire Mayer, sur le blog Veille technologique en TIC par les étudiants de l’option informatique à Centrale Nantes : 

Image d’entête : Conférence de Cherry Thian du Asian Civilisations Museum (Museums and the Web 2012)

Images dans le texte : British Museum et NMC Horizon Report Museum Edition 2012

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