Céline Chanas (Musée de Bretagne) : “Le portail des collections est en quelque sorte la phase émergée de l’iceberg et de notre projet numérique”

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Le 16 septembre 2017, à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine 2017, le Musée de Bretagne aux Champs Libres à Rennes, lance sa nouvelle plateforme afin de mettre ses collections à la disposition du public. Les internautes pourront ainsi découvrir près de 170 000 objets et documents numérisés au moment de son lancement. La création de cette plateforme s’inscrit dans la volonté de positionner le Musée de Bretagne comme un lieu innovant et de partage des connaissances à des fins essentiellement scientifiques, culturelles, historiques et documentaires. 

Dans une interview au CLIC France, Céline Chanas, la conservateur en chef du patrimoine et directrice du musée de Bretagne, nous présente la plateforme à la veille de son lancement ainsi que les nouvelles orientations de l’institution en matière d’innovation et de numérique. 

CCBYSA / A.Amet

. Quelle est la philosophie générale du projet ?

 Ce projet de portail des collections s’inscrit dans un environnement plus large :

. De la collectivité, Rennes Métropole : Depuis 2010, Rennes métropole et la ville de Rennes utilisent une plateforme web pour diffuser leurs données publiques. Une nouvelle version est en ligne depuis fin 2016, pour favoriser l’accessibilité aux données et leur réutilisation. En 2017, Rennes Métropole a choisi de créer le premier Service public métropolitain de la donnée.

Ce projet innovant de gouvernance de la donnée est l’un des onze projets lauréats de l’appel à projet pour le “développement de l’open data au sein des territoires”.

Par ailleurs, une nouvelle feuille de route « numérique » est en cours de définition pour le pôle « culture-cohésion sociale », auquel nous appartenons en tant que service culturel métropolitain.

. Du musée de Bretagne : un nouveau PSC et un nouveau schéma numérique : En effet, s’inscrivant résolument dans la logique de numérisation et d’ouverture des données culturelles de Rennes Métropole, le musée de Bretagne est porteur de projets innovants de développement de technologies, d’usages et de contenus numériques. Inscrite à son nouveau projet scientifique culturel (adopté le 18 juin 2015) comme un enjeu fort, “la montée en puissance de l’ingénierie numérique” se concrétise par la mise en œuvre d’un schéma numérique définissant son plan d’action pour les années à venir.

En réflexion depuis près de trois ans, ce chantier complexe a fait l’objet de choix, entérinés par les élus par une délibération du conseil métropolitain du 22 juin 2017. Ces choix reflètent à mes yeux de conservateur et directrice d’établissement la dimension humaniste des musées de société, et la dimension du partage, du bien commun, qui est consubstantielle à la notion de patrimoine.

C’est une orientation aussi presque militante dans le domaine des musées français, car trop de freins existent aujourd’hui en matière de réutilisation d’œuvres tombées dans le domaine public par exemple, y compris pour les professionnels. Pour un musée comme le nôtre, qui est adhérent de la fédération des écomusées et musées de société, c’est aussi une manière d’engager le débat avec nos pairs sur la fonction d’un musée au 21e siècle et « faire bouger les lignes ».

Pointe de flèche(Saint-Adrien, Côtes-d'Armor) – Age du bronze – CC0 – Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes, cliché Alain Amet
Pointe de flèche(Saint-Adrien, Côtes-d’Armor) – Age du bronze – CC0 – Collections du musée de Bretagne et de l’Écomusée du Pays de Rennes, cliché Alain Amet

Cette proposition globale s’inscrit dans les orientations déjà retenues pour les collections patrimoniales de la bibliothèque (Tablettes rennaises). Encore assez peu développée par les musées français, elle positionne donc le musée de Bretagne et la collectivité, dans une perspective innovante, dans la philosophie du partage des connaissances à des fins essentiellement scientifiques, culturelles, historiques et documentaires dans le cadre de la mission de service public de l’institution. Nonobstant les précautions qui seront prises par le Musée de Bretagne avant toute mise en ligne dans le respect de la réglementation en vigueur notamment au niveau du droit d’auteur et du droit à l’image.

Fileuse (Morbihan) – Négatif sur verre – Jeanne-Marie Barbey (1876-1960), début 20ème siècle – CC BY SA - Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes
Fileuse (Morbihan) – Négatif sur verre – Jeanne-Marie Barbey (1876-1960), début 20ème siècle – CC BY SA – Collections du musée de Bretagne et de l’Écomusée du Pays de Rennes

. Quels sont les objectifs du musée numérique ?

Le portail des collections est en quelque sorte la phase émergée de l’iceberg. Projet structurant, de long terme en raison de l’ampleur des collections (plus de 600 000 à terme), « les collections numériques du musée de Bretagne » visent à créer – en complément du musée « dans les murs » – un musée virtuel, permettant de diffuser à l’échelle régionale, nationale et internationale, la matière culturelle bretonne. Il reste difficile pour le musée de valoriser l’ensemble de ses fonds de manière permanente (volume très important des collections et nombreuses collections de type arts graphiques ou photographies ne pouvant être présentées en permanence) : le musée numérique permet une valorisation régulière.

Cette orientation majeure, le musée de Bretagne à l’ère du numérique, se déploie en plusieurs chantiers, interdépendants les uns des autres, avec plusieurs objectifs complémentaires et plusieurs phases de mise en œuvre, avec des rendus intermédiaires :

. Un objectif de récolement et d’inventaire, dit chantier des collections ;
. Un objectif de sauvegarde et de numérisation des fonds iconographiques, photographiques et audiovisuels ;
. Un objectif de diffusion des collections qui passe par le renouvellement de l’outil de gestion des collections et leur mise en ligne.

. A son lancement le portail offrira 150 000 images. Comment les avez-vous choisi ?

Pour être précis, le portail va comprendre à son lancement près de 170 000 notices d’objets et documents et autour de 100 000 images. Le projet étant techniquement très lourd, l’alimentation va évoluer au cours des semaines et mois à venir. L’idée n’est pas de faire un « choix » de notre part mais de pouvoir proposer tout ce qui est dans l’ordre du possible à l’aune de deux critères :

. L’avancée de l’inventaire, du récolement et de la numérisation ;
. La sécurisation juridique des données mises en ligne : vérification des droits (propriété intellectuelle, vie privée…) et le tagage des documents (marque du domaine public ou licences Creative commons).

Les collections mises en ligne à l’ouverture du portail seront très variées en matière de typologies, très représentatives de l’ensemble des fonds du musée (archéologie, ethnologie, numismatique, arts graphiques, photographies, affiches, cartes postales, textiles…). Au-delà des données brutes du portail, le musée proposera aussi une éditorialisation de ces contenus, sous forme de parcours thématiques ; l’idée est d’asseoir ces choix, en résonance avec les axes de la politique d’acquisition, l’actualité sociétale aussi, les expositions temporaires (du musée, des Champs libres, de nos partenariats hors les murs).

. Vous y ajouterez 70 000 œuvres par an. Ou en est votre programme de numérisation de la collection ?

Inventaire, récolement et numérisation sont deux activités de longue haleine pour un musée comme le nôtre, qui conserve plus de 600 000 objets et documents. Dans les années 1990, il a été précurseur avec la mise en place de l’informatisation des collections, avec le logiciel Micromusée. Avec le nouvel outil mis en place, multibase, plus conforme à nos attentes,  la migration des données a ainsi permis un versement de plus de 270 000 notices, 240 000 provenant des collections muséales (Micromusée), 30 000 de la photothèque (Armadillo).

En 2016, afin d’accélérer le processus, nous avons défendu auprès de notre collectivité le lancement d’un projet majeur et structurant, un chantier des collections dans la réserve arts graphiques, qui vise le récolement et l’inventaire de plus de 200 000 documents sur 3 ans. Depuis 2013, nous disposons également d’un programme de numérisation concernant les négatifs photographiques, en premier lieu les plus fragiles, les nitrates de cellulose.

Chantier de numérisation du musée de Bretagne, société Manzara, 2017 – CC BY SA – Cliché Alain Amet / Musée de Bretagne
Chantier de numérisation du musée de Bretagne, société Manzara, 2017 – CC BY SA – Cliché Alain Amet / Musée de Bretagne

. Quand a démarré votre programme de numérisation ? quand s’achèvera t il ? budget global et financement ?

L’histoire du programme de numérisation se décompose en deux phases :

Des années 1990 à 2013 : des campagnes régulières internes, avec la présence de photographes et de campagnes thématiques, en fonction des programmes de valorisation ou  des demandes (internes et externes) / 70 000 images numérisées environ.

Depuis 2013, des campagnes de numérisation externalisées, et adossées à une chaîne opératoire complète (inventaire, récolement, informatisation)

. 2014-2016 la campagne de numérisation « nitrates » : environ 40 000 négatifs traités sur 3 ans

. 2016-19 : numérisation des 200 000 documents d’arts graphiques

. 2017 –  … : poursuite de la campagne de numérisation, notamment « objets » et « négatifs photographiques » (pour ces derniers : plus de 30 000 négatifs seront numérisés entre 2017 et 2019 lors d’une nouvelle campagne).

Pour le budget, c’est assez complexe selon les coûts intégrés (numérisation seule ou intégration des coûts de traitement avant ou après, comme inventaire, traitement scientifique ; dépoussiérage, restauration, reconditionnement).

Pour donner quelques ordres de grandeur, le chantier des collections en arts graphiques, c’est un budget de 1,6 millions d’ € sur 3 ans ; le marché de numérisation des négatifs photographiques représente une dotation annuelle d’environ 20-30 000 € (hors traitement).

Le financement est assuré par Rennes Métropole, maître d’ouvrage, avec une subvention forte de l’Etat pour le chantier arts graphiques (DRAC Bretagne, 90 000 € par an), de la Région (numérisation, 20 000 € par an) et un soutien espéré du FEDER (fonds européen).

. Quelle est la qualité des images diffusées ? Quelles sont les conditions d’utilisations d’image ?

Pour les images sous licence Créative Commons, un poids moyen de 3 Mo sera disponible au téléchargement (2500 pixels de côté) dès qu’une image de cette qualité existe (haute définition permettant pour une large gamme d’utilisations).

Pour les images en tous droits réservés (photographies contemporaines notamment) dont le musée ne gère pas les droits d’auteur mais bénéficie d’une autorisation de diffusion accordée par l’auteur, les images seront en définition moindre (600×800 pixels) et le bouton « téléchargement sera en outre inactif.

Conditions d’utilisation : Les conditions d’utilisation rappelleront aux internautes l’obligation de respecter le droit d’auteur et la licence Créative Commons associée à l’image. Ceux-ci seront tenus de citer l’appartenance de l’objet aux collections du musée de Bretagne et de l’écomusée de la Bintinais.

. Envisagez-vous d’aller vers l’open Content ? si oui avec quelle norme ?

C’est en effet prévu dans une prochaine étape, l’outil est conçu initialement pour ce développement, qui s’insère plus largement dans la politique en faveur de l’Open data affirmée par la collectivité.

Rabot – Coulaux & Cie, début 20e siècle – CC0 – Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes, cliché Pierre Tressos
Rabot – Coulaux & Cie, début 20e siècle – CC0 – Collections du musée de Bretagne et de l’Écomusée du Pays de Rennes, cliché Pierre Tressos

. Comment a été développée la nouvelle plateforme ? Durée de développement, budget, financement ? Prestataires impliqués ?

Ce projet a nécessité une véritable montée en compétence du musée dans le domaine de l’ingénierie documentaire et un management en mode projet avec de nombreuses expertises internes et externes (documentation, numérique, communication…)

Le portail est adossé au nouvel outil de gestion documentaire pour lequel nous avons opté (Flora, société Decalog), qui développe spécifiquement une version “front office” par le biais du portail des collections pour notre projet.

Le choix a été fait de monter un projet en 2 étapes : phase 1 le musée de Bretagne ; phase 2 le musée des Beaux arts.

C’est un projet de longue haleine, car le travail préalable de structuration des données, a été un préalable important, avec par exemple une saisie rétroactive des inventaires papier, un nettoyage des données et thésaurus…

Durée du projet : plusieurs mois de benchmarking et de rédaction du cahier des charges en 2014 et 2015, plusieurs semaines d’analyse des offres en 2016, 8 mois intensifs pour la reprise de données et le développement du portail en 2017, 2 ETP consacrés dans l’équipe du musée au suivi de ce projet + 1 accompagnement technique de la DSI (0,3 ETP sur 18 mois lissés)+ 1 accompagnement juridique.

Budget : 112 000 € TTC, incluant les deux phases du projet

. Comment allez-vous impliquer les utilisateurs dans cette nouvelle plateforme ? au moment de son lancement ? de manière récurrente ?

Événement retenu pour lancer le portail, les Journées européennes du Patrimoine 2017 vont permettre au public de découvrir quelques pistes de réutilisation :

Des ateliers fabrication de badges illustrés par les collections (pour faire des images un élément de décor, d’ornementation vestimentaire… un clin d’œil visuel qui détourne l’image des collections)

Des ateliers GIFs avec Yann Peucat un artiste Photographe qui a produit lui-même des GIFs à partir de nos collections, mais surtout qui va inviter le public à faire par lui-même. Une vision décalée et humoristique de nos collections source d’inspiration pour jouer sur les clichés et les dépasser en s’amusant.

Des ressources pour des élèves et les enseignants : Une classe en Art appliqué et design du lycée Bréquigny de Rennes est en train de proposer des réinterprétations des fonds photographiques. L’idée est de prendre une image, d’y ajouter un nouvel élément qui créer une histoire originale et loufoque (par exemple : un plongeoir pour permettre aux enfants de se jeter dans le foin pendant les battages)

Un spectacle “ville de papier” (par la compagnie “La bande passante”) autour de cartes postales qui s’animent au gré des découpages et mouvements de caméra. Pour montrer que nos collections sont une  ressource en termes de créativité artistique.

Nous espérons donc initier un mouvement que nous allons entretenir au gré des propositions de nos publics. En effet, le musée dispose depuis quelques mois d’un nouvel espace (Museocube) dédié aux démarches participatives. Des prototypes et réutilisation y sont déjà présentés et nous y invitons le public à proposer de nouvelles idées. Des ateliers autour de la mosaïque, de la coiffe, de l’indexation collaborative y ont déjà pris place à l’occasion de “Rendez-vous 4c“.

Indexation collaborative, ateliers des communautés numériques (Wikipédia, WikiRennes) :  Nous collaborons depuis maintenant plusieurs années avec la communauté Wikipedia Rennaise (la NCO). Cela nous a déjà permis de lancer une formation de nos personnels pour faciliter la contribution et la compréhension de l’encyclopédie en ligne, mais aussi le versement de collections sur Wikimedia Commons suivi d’ateliers de contribution avec les publics sur des thématiques souvent en lien avec nos expositions. En tout, nous avons 4 à 5 rendez-vous Wikipédia par an qui s’élargissent aujourd’hui aux ateliers Wikidata, Wikisource… menés conjointement avec nos collègues de la Bibliothèque de Rennes Métropole.

La communauté suit de très près l’ouverture du portail en vue d’un nouveau versement. Il en est de même pour le wikiRennes, wikiterritorial qui réunit la connaissance du patrimoine rennais.

La présence du portail dans le parcours permanent sera également à repenser en lien avec les projets de refonte muséographique : c’est en cours.

Joueurs de biniou, Quimper – Carte postale – Editions Anglaret – Marque du domaine public – Collections du musée de Bretagne et de l'Écomusée du Pays de Rennes
Joueurs de biniou, Quimper – Carte postale – Editions Anglaret – Marque du domaine public – Collections du musée de Bretagne et de l’Écomusée du Pays de Rennes

. Allez vous enrichir votre collection avec le public  ?

Nous allons mettre en place un indexation collaborative. Les internautes pourront apporter un commentaire sur chaque notice, et ainsi participer à l’indexation des collections en localisant les images, en apportant des précisions sur l’utilisation des outils, le montage d’une coiffe, etc.

. La plateforme sera-t-elle ouverte aux autres institutions culturelles des champs libres ? de Rennes ?

Le portail sera accessible sur le site Internet des Champs libres qui regroupe les différentes entités (Bibliothèque, musée, Espace des sciences), il s’inscrit dans la démarche de l’établissement de développer les Champs libres numériques, à l’instar des ressources en ligne déjà bien identifiées comme les Tablettes rennaises de la Bibliothèque.

Le portail, en OAI-PMH, sera moissonné par les moteurs Bretania et Collections, et par conséquent Europeana. Des exports vers la base nationale Joconde seront réalisés.

. Quels sont vos autres projets numériques ? des outils in situ ?

Les perspectives de renouvellement du parcours permanent nous offrent aujourd’hui de nombreuses opportunités pour faire évoluer nos expositions avec de nouveaux dispositifs, notamment numériques.

L’un des derniers en date est l’utilisation par nos médiateurs de visualisation 3D de nos collections (5 objets pour l’instant), via tablette, pour augmenter leur visite. Ces mêmes objets sont imprimés en 3D pour développer des approches sensibles avec le public en situation de handicap visuel. (Réalisation : E mage in 3 D).

Interview réalisée par mail le 10/09/2017

Sources : Musée de Bretagne

Mise en ligne : 14/09/2017

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