Martijn Pronk (Rijksmuseum): «Le Rijksstudio a attiré quelques 15 millions de visites pour 200 000 comptes personnels créés»

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Deux ans après son lancement, le Rijksstudio est toujours cité en exemple pour l’ouverture maximale de ses collections. Quel est le bilan de ce nouveau modèle ? Quels en sont les développements futurs. Le Clic France a pu interroger Martijn Pronk à l’occasion de son passage à Paris, pour le séminaire Open Content du 1er avril 2015.

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Pourriez-vous nous parler de vous ? 

J’ai rejoint le Rijksmuseum à Amsterdam en avril 2007. Je suis le responsable du site web du musée et de toutes les activités édition: livres, catalogues et magazines. J’ai notamment coordonné le développement et le lancement du nouveau site du Rijksmuseum, présenté au public le 30 Octobre 2012.

Quand et comment est né le projet Rijksstudio ?

En avril 2013, le Rijksmuseum a rouvert ses portes après une période de rénovation de dix ans. Pour en informer le monde entier, le nouveau musée a développé et mis en ligne le 30 octobre 2012 un site Web flambant neuf qui a joué (et joue toujours) un rôle important dans la communication des valeurs du Rijksmuseum.

A l’image du musée, l’ouverture est une valeur fondamentale du site Web. Il permet à chacun de consulter, découvrir, agrandir ou réduire, partager ou conserver plus de 125 000 images haute définition de la collection dans son propre Rijksstudio, et de les télécharger pour son usage personnel. Il peut s’agir d’images complètes comme de détails d’images. Le Rijksmuseum encourage les gens qui souhaitent créer leurs propres œuvres à partir des images téléchargées.

Avec le Rijksstudio, le Rijksmuseum a pu donner accès à sa collection gratuitement et s’ouvrir vraiment : chaque visiteur est désormais le directeur de son propre musée.

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Quels sont les résultats du Rijksstudio ?

Près de deux ans et demi se sont écoulés depuis le lancement du Rijksstudio. Le nombre d’images disponibles atteint maintenant presque 200 000, et chaque jour de nouvelles reproductions d’œuvres viennent les compléter.

Le site web a attiré quelques 15 millions de personnes pour 200 000 Rijksstudios personnels créés à ce jour. Ces derniers incluent presqu’un demi-million de collections personnelles.

Plus d’1,3 million d’images ont été téléchargées pour un usage privé ou commercial, soit environ 1.400 par jour en moyenne.

Le Rijksmuseum est souvent cité comme un exemple en termes de libre accès aux collections. Comment intégrez-vous cette politique de libre accès dans la stratégie du musée ?

Nous sommes naturellement honorés de cette image de « bon élève », mais je suis parfois surpris de constater que ceux qui vantent les mérites de Rijksstudio n’en ont malheureusement pas totalement saisi le concept.

Le mouvement du libre accès s’apparente parfois à un mouvement sectaire. Pour certains, le libre accès est un objectif sacré. Ce n’est pas mon avis. Pour moi, le libre accès est un moyen d’atteindre un objectif.

Le Rijksmuseum a mis sa collection à la portée du public par conviction. Nous partons du principe que la collection n’est pas notre propriété personnelle. Elle appartient à tout le monde ! C’est pourquoi nous encourageons activement chacun à l’utiliser.

L’ouverture de la collection passe-t-elle également par une plus grande exportation des contenus vers d’autres plateformes ?

Oui, le Rijksstudio découle directement de la stratégie numérique du Rijksmuseum, dont un des aspects importants est la mise à disposition de notre contenu. Nous pensons qu’il est possible d’atteindre les différents publics là où ils se trouvent, en utilisant les moyens et supports les plus adaptés.

Wikipedia en est un bon exemple. Le Rijksmuseum ne produit pas de contenus sur cette plateforme, mais nous avons placé toutes nos images dans Wikimedia Commons, afin de permettre ainsi aux Wikipédiens d’utiliser eux-mêmes notre contenu. Cela nous évite d’avoir à mettre à jour les informations moins demandées. Celui qui veut avoir des informations sur Rembrandt visitera très probablement notre site. Mais celui qui cherche des informations sur le peintre Coeman, beaucoup moins connu, pourra se rendre plutôt sur Wikipedia.

Cela explique votre présence sur Google Art Project et sur Europeana ? Quel bilan tirez-vous de ces deux coopérations ?

Notre participation au Google Art Project (GAP) est un autre exemple de notre volonté de partager aussi largement que possible notre collection. Cette plateforme atteint déjà un public international d’amateurs d’art, tout comme Europeana. Si vous tapez “Rembrandt” sur le moteur de recherche du Google art project ou d’Europeana l’expérience proposée me semble sensiblement différente.  C’est la preuve qu’Europeana peut encore s’améliorer.  En attendant nous allons continuer de travailler avec Google pour étendre la visite Streetview à l’ensemble du Rijksmuseum.

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Quels types d’usages souhaitez-vous favoriser avec le Rijksstudio?

Les musées sont encore très souvent orientés sur « l’émission d’informations ». Ils doivent gérer énormément de contenu et proposer un grand nombre de produits et services différents. Le Rijksmuseum crée les conditions permettant aux gens de se servir des images comme bon leur semble.

Mais pour cela, le contenu doit être le plus neutre, et donc le plus réutilisable possible. Au lieu d’avoir à tout reprendre à zéro avec chaque nouveau produit ou service, nous devons utiliser autant que possible ce qui a déjà été développé. La mise à disposition de notre contenu permet à d’autres utilisateurs ou prestataires de s’en servir pour développer des créations personnalisées. Ceci illustre bien ma position selon laquelle le libre accès est un moyen et non un objectif.

Comme je l’ai déjà dit, l’ouverture est une valeur fondamentale importante du Rijksmuseum. Sur le site Web, cette ouverture se retrouve dans la proximité de la collection. La collection est à portée de main. Le site Web repose sur la puissance de l’image : « l’image est l’interface ». Maintenant que nous avons mis le contenu à disposition, chacun peut s’en rapprocher. En téléchargeant des images, mais aussi en rassemblant et en partageant ses œuvres préférées avec des amis. En téléchargeant des détails d’images. Mais surtout en créant de nouvelles œuvres uniques à partir des images du Rijksmuseum.

Ceux qui rassemblent des objets dans leur propre Rijksstudio ajoutent une partie d’eux-mêmes au Rijksmuseum. Les collections sont intégrées dans le moteur de recherche, et les plus belles sont présentées sur une page d’accueil. Beaucoup d’entre elles sont des sélections surprenantes d’éléments de notre collection. La façon dont nos visiteurs organisent leurs collections est totalement différente de celle du musée lui-même. Ensemble, les visiteurs et utilisateurs du Rijksstudio permettent au Rijksmuseum de rester en permanence actuel, surprenant et inspirant.

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Le Rijksstudio permet non seulement de rassembler et de télécharger des images complètes, mais aussi des détails d’images. Cela étend considérablement le nombre de possibilités. Désormais, quelqu’un qui cherche des images de chiens peut aussi glaner toutes sortes de chiens dans des peintures avec des paysages, par exemple, et les enregistrer en tant que nouvelles images dans sa collection de chiens. Ceci est une autre manière pour nos utilisateurs de créer leur propre contenu.

L’usage commercial de vos reproductions est désormais permis : quelle a été votre réflexion pour cette décision ? Pourquoi avoir écarté la vente d’images ?

Lorsque nous avons lancé le Rijksstudio en 2012, l’usage commercial des images était encore interdit. En 2014, nous avons changé cela. Les intérêts financiers liés à la vente des images n’ont pas fait le poids face au désir de diffuser la collection auprès du plus grand nombre. Les frais de personnel inhérents à la vente des images permettent surtout de générer du chiffre, mais peu de bénéfices. De plus, la distinction entre privé et commercial suscitait toujours une certaine confusion, et des questions des clients.

Un exemple de reproduction commerciale par  Kosek Jaroslaw inspiré de Militia Company of District XI under the Command of Captain Reynier Reael, Known as ‘The Meagre Company’, Frans Hals, Pieter Codde, 1637
Un exemple de reproduction commerciale par Kosek Jaroslaw…
...inspiré de Militia Company of District XI under the Command of Captain Reynier Reael, Known as ‘The Meagre Company’, Frans Hals, Pieter Codde, 1637
…inspiré de Militia Company of District XI under the Command of Captain Reynier Reael, Known as ‘The Meagre Company’, Frans Hals, Pieter Codde, 1637

Pour les projets professionnels à des fins commerciales (notamment pour les publications), nous proposons donc maintenant gratuitement des fichiers image en très haute résolution, qui sont par ailleurs tout à fait adaptés aux personnes souhaitant travailler sur des détails. Un fichier de 100 Mo affiche des détails magnifiques sans perte de qualité. Il est frappant de constater que de nombreux particuliers profitent également de cette possibilité. Ces grands formats de fichiers sont disponibles pour toutes les œuvres pour lesquelles il existe un fichier image normal, à l’exception des œuvres soumises à des droits d’auteur.

Nous proposons une API, ou interface de programmation, qui permet une utilisation directe et facile de notre base de données images et du contenu de notre site Web. Tout le contenu du site peut ainsi être utilisé pour des applications et autres logiciels. De nombreuses applications sont ainsi disponibles.

Vous avez choisi de ne pas contrôler les réutilisations commerciales et non commerciales de vos reproductions : l’avez-vous regretté ? Avez-vous fait face à des usages qui vous ont déplu ?

La mise à disposition de la collection repose sur la confiance. Que va-t-il advenir de nos belles images ? Et si les créations sont laides ? Nous avons déjà vu des produits que nous ne trouvons personnellement pas jolis, mais rien jusqu’à présent qui soit vraiment de mauvais goût ou obscène.

Lorsque vous accordez votre confiance aux gens, ils ne la trahissent pas. Le Rijksstudio est fondé sur la bonté de l’Homme. Des abus sont bien sûr toujours possibles, mais nous ne voulons pas importuner la majorité avec cela.

Le fait que des entreprises tirent profit de notre contenu ne nous dérange pas. Des milliers d’images de la « Ronde de nuit » de Rembrandt sont disponibles sur Internet. Si quelqu’un doit créer un produit avec cette image, nous préférons qu’il utilise la nôtre. Il saura au moins qu’il s’agit de la bonne image. Notre image de la Ronde de nuit est fidèle à la réalité. Le libre accès est dans ce cas synonyme de meilleure qualité.

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La confiance fonctionne aussi dans l’autre sens. Nos visiteurs peuvent compter sur la continuité de notre politique. La mise à disposition des images n’était pas un acte unique en tant que tel, totalement isolé du reste du musée. Nous numérisons chaque jour de nouvelles images et continuerons de le faire jusqu’à ce que nous en ayons traitées et mises en ligne plus d’1,1 million.

Existe-t-il une limite à cette réutilisation ?

Oui, nous avons décidé de mettre les images des œuvres de notre collection en libre accès mais notre marque et notre logo sont plus que jamais protégés. Il est donc possible de faire un livre avec des images du Rijksmuseum, mais pas d’y attribuer le titre « Rijksmuseum ». On peut soi-même concevoir une visite guidée du musée avec nos images, mais on ne peut pas l’appeler « Visite guidée du Rijksmuseum ». Notre logo ne peut donc pas être utilisé sur des produits commerciaux sans notre autorisation.

Dans le cas d’une telle utilisation de la marque, la vente des droits photos est donc remplacée par des royalties ? Dans le cas d’une publication, le musée devient il automatiquement co-éditeur ?

Une entreprise qui a acquis la licence sur notre nom et notre logo doit payer pour les afficher sur ses produits. Parfois, nous travaillons en partenariat avec les éditeurs. Mais cela n’a rien à voir avec une alternative à la vente de photos. Nous vendons certains titres que nous publions nous-mêmes aux visiteurs du musée de manière presque exclusive. Et pour les quelques livres que nous souhaitons vendre (principalement) à l’extérieur du musée, en ce cas un éditeur spécialisé peut être une meilleure option. Il existe donc différentes possibilités de coopération en matière d’édition: nous pouvons être co-éditeur, nous pouvons avoir un accord de distribution, nous pouvons être considéré comme l’auteur et recevoir une redevance

L’objectif du studio est également de favoriser la création, voire la transformation de vos œuvres …

Oui, avec le slogan « Créez votre propre œuvre d’art », le Rijksmuseum encourage les visiteurs à s’inspirer des œuvres de la collection qu’ils téléchargent pour leurs propres créations. Nous en avons aujourd’hui de magnifiques illustrations.

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Le 20 avril 2015 sera décerné le deuxième Rijksstudio Award, un prix de 10 000 € qui récompense la meilleure création réalisée à partir d’une image du Rijksmuseum. Un sponsor nous permet d’organiser ce concours de création pendant 5 ans. Le Rijksstudio Award est ouvert à tous, mais il attire surtout les jeunes créateurs. Nous sommes donc activement engagés auprès des écoles d’art et formations d’arts appliqués.

Nous travaillons régulièrement avec etsy.com, une plate-forme internationale sur laquelle plus d’un million de créateurs proposent leurs produits faits main. Notre collection est une « mine d’or » dans laquelle les personnes puisent leur inspiration pour leurs créations.

En collaboration avec l’entreprise néerlandaise de design DROOG, le Rijksstudio a participé deux fois au Salon du meuble de Milan, où se retrouvent les plus brillants esprits du monde du design international.

Avec le Rijksstudio Award, Etsy et le Salon de Milan, il est clair que nous nous efforçons de couvrir plusieurs dimensions de la création. Avec ces initiatives, notre souhait est que notre collection soit utilisée par le plus de créateurs possible.

Comment avez-vous fait face à la question épineuse des droits d’auteurs, sur les œuvres comme sur leurs reproductions ?

Bon nombre des artistes exposés au Rijksmuseum sont décédés depuis longtemps, ce qui est une chance pour nous.

Nous devons surtout gérer nos propres droits d’auteur sur les photos des œuvres et nous avons décidé de placer toutes ces images dans le domaine public. Nous possédons également des images que nous ne pouvons pas montrer car elles font l’objet de droits d’auteur. Le plus drôle, c’est que de très nombreux artistes, des photographes notamment, nous ont demandé de diffuser leurs œuvres malgré tout. Ils trouvent le Rijksstudio tellement bien qu’ils aimeraient beaucoup que leurs œuvres y soient représentées.

Il existe une catégorie intermédiaire : les œuvres sous droits d’auteur qui sont publiées et que l’on peut collectionner, mais qui ne peuvent pas être téléchargées et dont on ne peut pas choisir de détails.

Pour chaque acquisition, nous essayons naturellement de mettre l’œuvre correspondante à disposition, avec le moins de restriction possible.

Si vous deviez résumer votre démarche Studio et Open Content …

Le libre accès est un moyen pour le Rijksmuseum. Un moyen de faire entrer une partie du Rijksmuseum dans chaque foyer. Le libre accès en tant qu’objectif, c’est-à-dire le libre accès seul, ne suffit donc pas. Il faut développer une politique.

Nous avons ainsi intégré la mise à disposition des images dans une approche plus large :

  • limiter le plus possible les conditions
  • fournir des images, et des détails, d’une très haute qualité
  • encourager l’usage et partager les résultats
  • mettre en œuvre des outils marketing
  • ce projet n’est pas isolé, mais fait partie intégrante de notre musée.

C’est ce qui a permis d’élever le Rijksmuseum numérique au statut de « love brand ».

Interview réalisée par mail et lors du séminaire du 01/04/2015

Intervention de Martijn Pronk lors du séminaire Open Content du Clic France (1er avril 2015)

Date de première publication: 24/04/2015

Clic-separateur(A LIRE SUR LE SITE DU CLIC) (3)

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Exposition du Rijksmuseum: le mécène KPN redonne vie aux toiles de Rembrandt

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