Mélanie Roustan : “nous ouvrons la réflexion sur les usages actuels et potentiels de la photographie amateur au musée”

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Temps de lecture : 6 min

Mélanie Roustan, co-auteur avec Anne Krebs et Serge Chaumier de “Visiteurs photographes au musée” présente cet ouvrage collectif  qui vient de paraitre à la Documentation française, dans la collection « Musées-Mondes ».

Visiteurs photographes au musée” est le résultat d’une longue histoire. L’intérêt de construire la photographie amateur des visiteurs de musée en objet de recherche m’était apparu en 2005, lorsque je réalisais une enquête de réception auprès des publics de l’exposition Star Wars à La Villette, à la Cité des Sciences et de l’Industrie, au sein de l’équipe de Jacqueline Eidelman, alors en poste au Cerlis (CNRS/Paris Descartes). La présence des visiteurs photographes au sein de cette exposition, la quantité et la diversité des prises de vue, l’importance que semblait revêtir pour eux cette pratique… avaient éveillé ma curiosité. L’appareil photographique modifiait en profondeur l’expérience de visite, en induisant des techniques du corps particulières, et en devenant le support de nombreuses sociabilités.

De son côté, Anne Krebs, au Louvre, avait mené plusieurs études sur le sujet, en 2005 puis 2007,  afin d’éclairer le débat et de fournir matière à arbitrer les choix de la direction du musée quant aux formes de l’interdiction ou de l’autorisation de la prise de photographie par les visiteurs. Ces études interrogeaient à la fois l’attachement des publics pour cette pratique et les conséquences de son interdiction sur les conditions de travail des agents de surveillance.

Enfin, Serge Chaumier, s’était impliqué dans la réflexion et les actions autour de la décision du musée d’Orsay d’interdire la photographie dans ses salles, en 2010 ; décision qui a conduit à une effervescence sur la question – et qui explique, en partie, la naissance de l’ouvrage.

Fin 2011, Anne Krebs, Serge Chaumier et moi-même, lançons un appel à contributions intitulé « Les visiteurs photographes. Un outil pour penser le musée ». Nous voulions faire un point sur la diversité des situations, tant en termes de positions institutionnelles que de pratiques des visiteurs.

Un regard sensible et parfois décalé sur le sujet

C’est pourquoi l’ouvrage est pluridisciplinaire, rassemblant des juristes, des sociologues, des anthropologues, des philosophes, des chercheurs en sciences de l’information et de la communication, mais aussi des photographes, qui livrent un regard sensible et parfois décalé sur le thème.

Interdire, autoriser ou encourager la pratique photographique des visiteurs ? Tel est le questionnement auquel les musées doivent aujourd’hui faire face.

Car en effet, le débat français sur les visiteurs photographes au musée s’est cristallisé sur la question de l’interdiction. Les arguments mobilisés y sont d’abord juridiques. Mais les enjeux de la question dépassent les discours explicites, en engageant les établissements dans des choix stratégiques de gestion des collections, d’administration des personnels, de préservation du patrimoine ou de politique des publics.

Nous avons voulu cet ouvrage pour faire un point, refroidir le débat, mais également le nourrir et renouveler les perspectives.

D’abord, analyser la controverse. Ensuite, observer les usages. Enfin, penser les utilisations potentielles, notamment du côté des établissements.

La contradiction entre droits attachés aux œuvres de l’esprit, et jouissance du bien commun, patrimoine public, sous-tend le débat sur l’interdiction de photographier dans les musées. Mais les mêmes arguments sont mobilisés parfois de façon opposée,  et la lisibilité est difficile du côté des publics.

Un ouvrage en 3 parties

Dans la première partie de l’ouvrage, des juristes s’attachent ainsi à comprendre les ressources légales des mesures d’interdiction, pour les remettre en cause.

De l’abord juridique, la question de la photographie au musée révèle deux versants : la prise de vue in situ et l’utilisation ultérieure des clichés. Deux pratiques distinctes, qui mobilisent des notions variées : pour la prise de vue in situ, la conservation des œuvres, la sûreté et le confort des visiteurs, pour l’utilisation ultérieure des clichés, la propriété intellectuelle et la protection de l’image des biens. Dans tous les cas, une difficile univocité de l’interprétation des textes ou des doutes quant à leur périmètre et à leurs conditions d’application.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée aux pratiques et représentations des visiteurs. Plusieurs textes permettent de comprendre les usages au sein des salles d’exposition, d’en explorer la variété et d’en analyser le rôle dans l’expérience de visite.  Le temps présent de la visite se dilate dans un futur que le visiteur anticipe, en projetant les usages ultérieurs de ses photographies.

L’accumulation de centaines, voire de milliers de photographies non seulement d’œuvres, mais aussi d’expositions, avec leur scénographie, leurs outils de médiation, leurs personnels de musée, participe de l’élaboration de bibliothèques personnelles d’un genre nouveau.

Quelques cas très rares voient revenir au sein des mondes culturels légitimes (beaux livres ou expositions) les images ainsi produites, démontrant à la fois la possibilité et l’exceptionnalité d’une reconnaissance artistique des photographies de musée. Je vous invite à découvrir en ce sens le travail de Davide Pizzigoni sur les « gardiens de musée », comme on appelle encore les agents d’accueil et de surveillance, un travail présenté et analysé par Susanna Muston dans l’ouvrage ; ou à aller découvrir l’exposition de Robert Baronet sur les « coulisses du musée » à la faculté de Lens.

Toutefois, dans le cas le plus courant, les photographies prises par des visiteurs de musée n’ont pas de vocation artistique à visée professionnelle. Leurs usages se déploient de plus en plus fréquemment sur Internet, sous des formes à mi-chemin entre l’appropriation et la restitution, l’expression personnelle et la prise de parole publique. Ils se situent entre critique amateur et logiques touristiques.

Les blogs constituent une des formes les plus visibles de leur diffusion. Des visiteurs témoignent de leurs visites, déployant un point de vue subjectif sur leur expérience, tout en se portant garant des éléments objectifs de leur compte rendu.

Ces différentes contributions constituent des prolongements de la visite, qui font vivre l’institution dans l’esprit des publics au-delà des limites spatiales et temporelles de cette expérience spécifique – et, partant, interrogent le périmètre de la notion même de « publics ».

Logique de partage et logique d’expertise amateur s’entremêlent, dans une démarche à la croisée de la communauté de fans et de l’encyclopédie participative. Les visiteurs se font alors, en quelque sorte, « relais du patrimoine » en se l’appropriant, en le réinterprétant parfois.

Photographie et politique des publics

Se trouve alors posée la question de l’encouragement des institutions culturelles envers de tels usages, autrement dit la question de la photographie comme instrument d’une politique des publics.

Le musée, comme lieu d’éducation du regard, est bien placé pour accompagner et prodiguer des conseils en matière de photographie. Il peut saisir là une chance de renouveler son dialogue avec les visiteurs. Certains services culturels l’ont bien compris qui non seulement autorisent mais encadrent des ateliers photographiques en leur murs, invitant les visiteurs à exercer leur compétence mais également à en partager le résultat avec l’institution et, au-delà, avec l’ensemble de ses publics, sur place ou à distance. En mettant en place des ateliers ou des séances dédiées à la photographie, en organisant des concours photographiques, en créant des forums de mutualisation et d’échanges des images, en invitant des photographes à témoigner de leur regard personnel sur les collections et à en faire part aux visiteurs dans une exposition, les institutions muséales invitent et incitent les visiteurs à les appréhender de manière active et subjective, à se les approprier, tant pour leurs espaces que pour leurs propositions culturelles.

La troisième partie de l’ouvrage est consacrée aux exemples de prise en compte et d’intégration de la pratique photographique des visiteurs à des politiques d’établissement, que ce soit dans une logique de médiation, de communication ou de participation.

Si les actions participatives peuvent se décliner sous la forme de loisirs culturels et artistiques, elles peuvent aussi engager les visiteurs dans des actions collaboratives à visée scientifique. Pour alimenter des bases de données, les documenter, des participants sont librement invités à donner de leur temps et de leur énergie au profit du musée et de ses activités de documentation et de recherche. Des moyens qui offrent des occasions, pour l’institution, de nouer des liens à long terme avec les visiteurs photographes. Ces pratiques permettent aussi de donner à voir l’activité documentaire et scientifique du musée, de valoriser ses métiers, voire de transmettre ou partager des compétences de classification, de documentation ou de normes photographiques scientifiques avec les participants-contributeurs.

Ainsi, cet ouvrage donne un panorama et rend compte de la multiplicité des points de vue. Il creuse les arguments juridiques souvent avancés dans le débat, et ouvre la réflexion sur les usages actuels et potentiels de la photographie amateur au musée, dans la perspective d’un renouvellement des liens entre les musées et leurs publics.

Texte rédigé par Mélanie Roustan, à l’occasion de la journée d’étude “usage de la photographie au musée”, organisée le 8 mars 2013 au Louvre-Lens.

Mélanie Roustan est ethnologue, chercheur associée au Cerlis (Centre de recherche sur les liens sociaux, CNRS/Paris Descartes). Elle travaille sur la construction sociale et culturelle du rapport aux objets matériels. Elle a réalisé de nombreuses enquêtes de réception auprès des visiteurs de musée. Ses recherches actuelles portent sur les liens entre ethnographie et musées.

Visiteurs photographes au musée
Collection Musées-Mondes
Réf. 9782110092120
320 pages 24 €

Sous la direction de Serge Chaumier, Anne Krebs et Mélanie Roustan

Contributions : Michaël Bourgatte, Nathalie Casemajor Loustau, Serge Chaumier, Sylvaine Conord, Noémie Couillard, Mélanie Dulong de Rosnay, Jacqueline Eidelman, Émilie Flon, Séverine Giordan, André Gunthert, Bernard Hasquenoph, Annie Héritier, Irène Jonas, Anne Krebs, Pierre Lannoy, Gaëlle Lesaffre, Valentina Marziali, Susanna Muston, Martine Regourd, Chloé Roubert, Mélanie Roustan, Géraldine Salord, Jean-Michel Tobelem, Dominique Trouche, Hécate Vergopoulos.

Présentation détaillée de l’ouvrage en PDF et achat en ligne

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