La réalité virtuelle s’installe de manière permanente dans un nouvel espace du Palais de Tokyo

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Le mercredi 3 avril 2019, le Palais de Tokyo et le magazine Fisheye ont inauguré le Palais virtuel. Cet espace est dédié à la diffusion d’oeuvres d’art numérique en réalité virtuelle. Après le Museum National d’Histoires Naturelles et la Cité de l’architecture, le centre parisien consacré à l’art contemporain est le 3ème lieu culturel parisien à s’ouvrir de manière permanente à la technologie VR.

Le Palais de Tokyo propose donc désormais un lieu d’exposition permanente en VR. Baptisé le « Palais Virtuel », il s’agit en fait d’un espace et d’un programme de diffusion de créations numériques en VR géré en co-production avec Fisheye, le magazine à l’initiative du festival annuel Arles VR.

Le Palais de Tokyo prévoit d’exposer chaque année dans son lieu permanent deux artistes français et un artiste international expérimentant la VR.

En ce printemps 2019, pour l’ouverture du “Palais Virtuel”, le Palais de Tokyo et son partenaire ont choisi trois œuvres d’artistes français et internationaux. Objectif: faire découvrir les prémices du nouvel espace de création qu’ouvre la VR appliquée à l’art contemporain.

“Il faut donner aux artistes la possibilité de subvertir la réalité avec la VR, sinon ce sont les militaires et les pornographes qui le font”, a expliqué Christopher Miles, directeur du Palais de Tokyo, au HuffPost lors de l’inauguration de son “Palais Virtuel”.

Trois expériences foncièrement différentes, avec lesquelles le palais de Tokyo espère séduire un très large public.

Le Palais Virtuel ouvre avec 3 artistes 

Les visiteurs du Palais Virtuel peuvent désormais entrer dans l’univers de Julio Le Parc, peintre et sculpteur argentin âgé de 90 ans et précurseur de l’art cinétique, qui nous plonge dans un trou noir d’où surgissent des nuages de points de couleur; dans celui du trentenaire Julien Creuzet qui retrace le chemin du maïs, des cultures ancestrales de la plante au Mexique aux vendeurs à la sauvette d’épis de maïs grillés à la sortie du métro de Barbès; ou encore dans celui d’Antwan Horfee qui propose un paysage psychédélique semblant tout sorti d’un film de science-fiction.

. Julio Le Parc “alchimies en réalité virtuelle”

Précurseur de l’art dit cinétique et optique, membre fondateur du G.R.A.V (Groupe de Recherche d’Art Visuel) au début des années 1960, Julio Le Parc (né en 1928 à Mendoza, en Argentine) est un artiste qui ne cesse d’ouvrir de nouvelles perspectives dans l’histoire de l’art. “Il poursuit ici ses expérimentations sur la lumière, la couleur et l’espace à travers une utilisation low tech de la réalité virtuelle. Munis d’un casque, le visiteur plonge dans un trou noir physique et mental : une surface obscure et énigmatique devenue territoire d’explorations lumineuses et de contemplation active. L’artiste se joue de nos perceptions, créant ici ou là des moments de perspectives tronquées, de vides vertigineux, de tremblement de la rétine ou de mouvements instables et interactifs. Une perte de repères totale. 7 alchimies en réalité virtuelle est un prolongement numérique de plusieurs de ses peintures réalisées à partir de 14 teintes, une palette de couleurs qui n’a pas varié depuis 1959. Le rôle du visiteur est encore démultiplié par la réalité virtuelle : il a maintenant la possibilité d’activer les peintures, de décider de son point de vue, de sa position, de son rôle et de son temps d’expérience”. Son œuvre était également exposée au festival Laval Virtual fin mars 2019.

“D’une manière générale, par mes expériences, j’ai cherché à provoquer un comportement différent du spectateur […], à combattre la passivité, la dépendance ou le conditionnement idéologique, en développant les capacités de réflexion, de comparaison, d’analyse, de création, d’action. Le regardeur ne doit pas se sentir soumis. Il n’est pas dominé devant mes propositions, il est sur un pied d’égalité. L’important pour moi est qu’il ressorte de l’exposition avec plus d’optimisme.” explique Julio Le Parc.

. Antwan Horfee: “Gigamaku”.

Gigamaku est une exploration physique et mentale d’un paysage au psychédélisme vitaminé. “Elle suit le cycle d’une journée, du lever du soleil au surgissement de la nuit. La découverte se fait pas à pas, le corps plongé dans un monde gigantesque où se nichent des objets cachés comme des trésors ou tombant du ciel. Autant de verrous, de chichas et de pommes dessinés et animés par l’artiste, soucieux de s’approprier et de détourner les techniques de la réalité virtuelle. D’abord sculptée en plâtre et pâte à modeler à la manière de Richard Corben, icône de la bande dessinée underground, la maquette d’Antwan Horfee est modélisée en 3D grâce à des méthodes de scan alternatives, puis retravaillée dans ses teintes comme un mirage mouvant. Volontairement cheap, avec défauts apparents, le monde virtuel d’Antwan Horfee s’inscrit dans l’héritage de films de science-fiction évoquant des expériences technologiques interdites, secrètes ou défectueuses : Demolition Man (où la réalité virtuelle est mise au service de la sexualité), Strange Days (où le virtuel sert le crime) ou encore La Rose pourpre du Caire (qui questionne le passage du virtuel au réel). C’est cette mutation des formes et ce passage dans une nouvelle dimension qui intéressent Antwan Horfee : un étrange glissement du dessin et de la sculpture aux pixels qui permet d’envisager une nouvelle fois la peinture comme une réalité virtuelle”. Antwan Horfee est né en 1983 à Paris, où il vit et travaille. Il a cofondé la BATT, une coopérative d’artistes spécialisée dans l’édition indépendante.

“Les passages inter-mondes sont mes lieux préférés. On y trouve un point d’observation impressionnant et théâtral qui ne montre que l’essentiel. Ici, le public accède à une dimension frustrante et impalpable. Un plan physique m’a servi d’esquisse, comme le moule d’un monde. Ce rapport entre la modélisation artisanale et l’expérience hybride d’immersion virtuelle permet de créer, à partir d’un objet réel, le contenant d’un hyper monde invisible” explique Antwan Horfee.

. Dans une autre salle, où sont installées différentes sculptures du Français Julien Creuzet, un casque de réalité virtuelle est posé sur un fauteuil tournant.

Le visiteur est invité à enfiler un casque, à s’asseoir et à tourner. “Ici on a l’impression de pénétrer dans un collage abstrait. Un briquet, une pièce de monnaie et un gros pop-corn sont en suspension”. Au sol des épis de maïs, un personnage à la tête de pipe. Dans le casque, une voix chante : « Maïs chaud Marlboro » (c’est aussi le nom de l’œuvre – référence aux vendeurs à la sauvette de Barbès). “L’œuvre s’accorde parfaitement avec les sculptures (bien réelles, elles) qui sont installées autour. Quand on retire le casque, le visiteur se retrouve entouré d’installations aux matériaux hétéroclites”.

Une fenêtre qui ouvre sur le monde

La VR isole le spectateur du lieu et des autres visiteurs. Cette position encore largement défendue n’est pas partagée par les créateurs. L’artiste Antwan Horfee s’essaie pour la première fois à la réalité virtuelle avec son œuvre “Gigamaku” et voit le casque comme “un objet de passage, un ticket d’entrée dans une seconde réalité”. Julien Creuzet, qui définit poétiquement la technique de la VR comme une “fenêtre vers l’ailleurs qui révèle un lointain tout en restant dans l’ici.”

Répliquant à ceux qui considèrent que l’expérience VR isole le spectateur, Benoît Baume, directeur de la rédaction du magazine Fisheye et curateur du Palais Virtuel, explique au HuffPost: “pour moi, le casque de réalité virtuelle est une ouverture plutôt qu’une fermeture. La VR repousse complètement le champ des possibles et les cadres dans lesquels on s’enferme. ”À chaque fois que je contemple une œuvre en réalité virtuelle, ça me déclenche un truc physique dans le ventre qui entraîne une vraie réflexion en moi, et c’est bien ça le fondement original de l’art”.

Entrée dans la sphère muséale il y a moins de 3 ans, la réalité virtuelle pourrait s’y répandre rapidement avec une qualité améliorée et des expériences encore enrichies.

”À la cité de l’architecture et du patrimoine au Palais de Chaillot, le visiteur a la possibilité d’arpenter la pyramide de Kheops à plusieurs”, évoque Christopher Miles, “et ça viendra au Palais Virtuel.”

Les trois premières œuvres VR sont présentées jusqu’au 12 mai 2019. Le Palais Virtuel fermera ses portes durant l’été pour revenir plus abouti à l’automne 2019 et faire découvrir au plus grand nombre tout le potentiel immersif de la VR appliquée à la création artistique.

VR et art numérique

En France ce n’est pas la première fois que la VR et la création numérique sont combinés. Des événements comme le VR Arles Festival et Recto VRso à Laval sont consacrés aux artistes et cinéastes spécialistes de la réalité immersive. Entre juin et septembre 2017, le Palais de Tokyo avait déjà présenté l’oeuvre VR de Hayoun Kwon “L’Oiseleuse”Hayoun Kwon y développai un travail autour de la narration comme de la construction de la mémoire individuelle et collective, à travers la mise en scène d’histoires qui lui ont été confiées, de situations qu’elle a vécues ou imaginées. Explorant les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour jouer de la confusion entre souvenirs réels et actions rêvées, entre témoignage fidèle et interprétation fantasmée, elle interrogeait ce qui est transmis, ce qui fait trace ou sombre dans l’oubli.

A l’étranger, le Festival de Venise, de Tribeca et South by Southwest consacrent une section à la création  numérique en VR depuis plusieurs années. Des lieux permanents exposants l’art numérique en réalité virtuelle existent à Brooklyn (galerie Transfer) et à Berlin (Digital Art museum). A Londres, en décembre 2018, La Saatchi Gallery, en collaboration avec Marshmallow Laser Feast, a accueilli la première mondiale de « Nous vivons dans un océan d’air », une installation de réalité virtuelle multisensorielle qui réunit l’art, la science et la technologie.

Informations pratiques:

La première exposition de l’espace de réalité virtuelle du Palais de Tokyo est proposée du 20/02/2019 au 12/05/2019. À découvrir de midi à 22h, tous les jours sauf le mardi. Tarif: inclus dans le ticket d’entrée à 12 ou 9 euros.

SOURCES: Palais de Tokyo, huffingtonpost.fr, ladn.eu, realite-virtuelle.com

Photos: Palais de Tokyo, artistes

Date de première publication: 8/04/2019

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