Pour le cinquième épisode de la série d’interviews et de points de vue sur le thème « le musée après », le CLIC France donne la parole à Francis Duranthon, paléontologue, docteur en paléontologie des vertébrés, conservateur en chef, et directeur du Muséum de Toulouse, plus important musée d’histoire naturelle de France après le Muséum national d’histoire naturelle depuis le 1ᵉʳ janvier 2011. Plus jeune (21 ans) conservateur de musée de France lors de son entrée au muséum en 1982, Francis Duranthon a également été animateur d’émission de télévision pour France 3 et France 5 et auteur de plusieurs ouvrages sur les dinosaures, les fossiles et les minéraux. Depuis 2018, en parallèle de ses fonctions, il a pris la tête de la nouvelle direction des musées de la ville de Toulouse.
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- Quel impact a eu la crise du coronavirus et le confinement sur votre fonctionnement et organisation ?
Comme tout le monde, nous avons fermé notre établissement. Et nous avons vu combien la culture (et pour nous en particulier la culture scientifique) était indispensable. Nous avons donc travaillé à distance, chez nous en mobilisant de manière très forte les outils numériques pour poursuivre notre activité.
Toutes les équipes se sont mobilisées en télétravail pour offrir de nouveaux contenus à nos usagers du monde virtuel, poursuivre le développement de tous les projets en cours.
Nous avons par exemple maintenu la date de mise en ligne du site consacré à nos réserves, qui était en chantier depuis de longs mois. La date choisie était symboliquement la date anniversaire de l’entrée des premières collections au Muséum le 13 floréal an IV.
Le 2 mai était un grand jour pour nous, ce fut une jour de mise en ligne confinée.
- Quelles transformations durables cette crise apportera t elle à votre organisation ? à vos missions ?
Un projet d’établissement est par essence un projet collectif, celui d’une équipe dans toute sa diversité et toutes ses compétences. Donc, même si certainement le télétravail va s’installer durablement, et conduire à quelques modifications organisationnelles, il ne remplacera jamais les temps nécessaires de rencontre physique entre les porteurs de projet car toute la subtilité de la part de communication informelle, corporelle, des jeux de regards, d’expressions qui s’échangent entre les uns et les autres lors de ces temps collectifs ne sera jamais rendue par une visioconférence.
Nos missions ne changeront fondamentalement pas. Nous resterons un lieu citoyen de plaisir, de découverte, d’apprentissage, d’éducation informelle.
Par contre, nous allons progressivement adapter nos outils et on voit bien comment le numérique est aujourd’hui au cœur des réflexions et des pratiques. Il va donc falloir adapter nos modes d’organisation à ce média et innover dans le process d’élaboration et la nature des projets de toute nature, avec certainement plus de travail collectif en mode projet.
- Et à votre stratégie d’innovation, notamment numérique ?
Le Muséum s’est inscrit très tôt dans l’innovation numérique en considérant le monde des réseaux et du Web comme un autre lieu d’expression du Muséum, et pas seulement comme un outil de communication.
Bien sûr il va falloir continuer en ce sens en poursuivant le travail de production de contenus et donc de savoirs.
Il est encore trop tôt pour dire quelle innovations nous allons pouvoir porter. Il va falloir que l’on se donne le temps d’analyser cette période, de voir comment les publics se sont emparés des offres très différentes, parfois très innovantes qui lui ont été proposées, non seulement chez nous en France mais partout ailleurs.
Car le propre d’une innovation c’est de se répandre, de conquérir le monde. Il n’est pas certain que nous ayons la capacité à inventer sans cesse. Par contre, s’inspirer, adapter, développer, essayer, ça peut conduire à de véritables innovations.
- Cette période unique de confinement vous donne t elle des idées de nouvelles formes de médiation dans le musée (après sa réouverture) ?
Dans le musée, il va falloir très certainement trouver de nouveaux équilibres entre manipulation et démonstration pour des raisons sanitaires et renforcer l’usage des technologies numériques de visite mobiles.
Pour cela et sur la forme, il va falloir travailler des formats courts, dynamiques, des messages très clairs, du ludique intelligent qui démystifie et démythifie la science en utilisant, à bon escient, les possibilités qu’offrent les technologies numériques qui pour moi ne sont pas la solution miracle mais un extraordinaire outil. C’est l’usage que l’on fait d’un outil qui peut faire accomplir des merveilles… ou des horreurs !
- Cette expérience vous inspire t elle de nouvelles formes d’implication de vos collaborateurs (médiateurs public, conservation …) dans de nouvelles formes de relations avec les visiteurs réels ou distants ?
Nous avions déjà développé du travail avec nos visiteurs tant réels que distants, depuis les vitrines participatives, les concours de photos en ligne, les concours de nouvelles jusqu’aux sorties sur le terrain avec les internautes… Nous allons continuer en ce sens et peut être faudra il trouver des moyens pour associer davantage le public à nos choix éditoriaux, sans toutefois tomber dans une forme de démagogie opportuniste.
Et puis travailler sur de véritables sciences participatives, en n’utilisant pas le public comme un simple producteur de données mais en lui donnant la possibilité d’exercer son expertise citoyenne. Bref, renforcer un véritable axe science-société, sans mésestimer les difficultés que cela pose aussi bien pour les uns que pour les autres tant les paradigmes sont inscrits dans nos positionnements respectifs lorsqu’il s’agit de se confronter à l’autre…
- Quels sont les premiers projets (innovants) que vous souhaiteriez lancer à la sortie du confinement ?
L’expérience des visites que nous avons développées sur les lieux confinés donne envie d’aller plus loin. Pourquoi pas des projets collectifs portés par les muséums du style un objet une histoire, des mises en commun de moyens…
Pour ma part, je pense depuis des années à la création d’une plateforme technique collective de numérisation 3D des objets de collections dont les fichiers serait ensuite mis en ligne sous licence libre…. Une sorte de prolongation de ce que nous portons déjà à travers le Projet Phoebus que nous développons avec Wikimedia France.
- Le musée d’Après sera t il différent du musée d’Aujourd’hui ?
Je dirai oui et non. Un musée est et restera un lieu de conservation d’un patrimoine diversifié dans lequel on peut se laisser aller à la flânerie, à la contemplation. Un musée est une invitation au voyage, un voyage intérieur dans des territoires de savoirs inconnus, vers des terres physiques plus ou moins lointaines, plus ou moins fantasmées ou fantasmatiques.
C’est un lieu d’émotions, positives ou négatives, c’est lieu qui nous permet de nous forger, avec d’autres, une représentation du monde dans toutes ses complexités. Cela, ça ne changera pas.
Je crois que les musées vont devoir peut être descendre encore un peu plus de leur piédestal, d’une vision encore trop souvent élitiste même si ils s’en défendent toujours, pour se forger une personnalité aimable, au sens littéral du terme. Chaque musée a une âme singulière. Cette diversité fait la richesse de cet extraordinaire tissu national de lieux de culture. Ce mouvement est déjà largement amorcé mais ils va devoir se renforcer.
Les musées devront devenir encore plus des lieux que les gens aiment, où ils viennent et reviennent. Tout le contraire des lieux ou le public vient parce qu’il faut les avoir vus. Mais il va falloir davantage considérer le public comme un partenaire… et moins comme des visiteurs réels, potentiels ou virtuels.
Le Museum de Toulouse a été l’un des 18 partenaires de son “Tour de France des lieux confinés”:
Propos recueillis par mail le 6 juin 2020
PHOTOS: Museum de Toulouse
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Le muséum de Toulouse est membre du Clic France
Date de première publication: 9/06/2020
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