Le 27 janvier 2021, le musée des Arts et Métiers a lancé la visite virtuelle de son exposition temporaire « Top modèles. Une leçon princière au XVIIIe siècle ». Ce dispositif très innovant s’inscrit dans le prolongement de l’opération « Le musée chez vous » et des nombreuses autres initiatives du musée pendant les deux confinements pour maintenir le lien avec le public malgré la fermeture du musée. Dans cette interview réservée au Clic France, Marie-Laure Estignard, directrice du musée des Arts et Métiers revient sur cette période inédite pour le musée, présente son nouveau rendez vous bimensuel sur Facebook (lancé le 23/03/2021) mais analyse également les défis auxquels le musée devra faire face lors de sa réouverture.
[EVENT CLIC] Marie-Laure Estignard sera l’un des 14 intervenants du prochain webinaire du Clic France, le jeudi 25 mars 2021.
- Comme toutes les institutions culturelles françaises, les salles du musée des Arts et Métiers sont encore inaccessibles au public. Quelles leçons générales tirez vous de plus de 200 jours de fermeture depuis le 15 mars 2020 ?
Le bilan est double.
Il est positif sur notre agilité et notre capacité à défricher des territoires de médiation et de transmission jusqu’alors insuffisamment explorés, comme la médiation numérique.
Il est encore incertain pour ce qui concerne la relation entre les musées et leurs publics. Ces derniers ne se sont pas précipités dans les musées parisiens pendant la réouverture estivale. Il faut essayer d’en comprendre les raisons pour pouvoir adapter notre programmation.
- Diriez-vous que le covid-19 et ses confinements induits ont accéléré votre mutation numérique ?
Le musée des Arts et Métiers est en pleine mutation sur le sujet. Parce que nous avions un peu de temps, ce qui est rare, nous avons pu nous consacrer à de nouveaux projets. Deux grands axes sont en cours de développement autour du numérique : la restitution de la connaissance que nous avons de nos collections notamment avec des projets de recherche, et la médiation.
- Peut-on dire que le covid a fait bouger les lignes de la communication et de la médiation muséale ?
C’est peut-être plus visible aujourd’hui en termes de médiation que de communication. Et pas uniquement sur la médiation numérique. De nombreux projets d’édition, de dispositifs de visites, d’éducation artistique et culturelle (EAC), de programmation, etc. sont en cours d’élaboration par toutes les équipes pour la rentrée de septembre 2021.
Pour ce qui concerne la communication nous avançons sur notre stratégie et notre présence sur les réseaux sociaux. C’est un gros travail qui mobilise des métiers très différents au musée afin de produire des contenus variés, amusants et riches dans le cadre d’une nouvelle ligne éditoriale. Nous espérons accroitre rapidement notre visibilité vers de nouveaux publics.
- Votre adaptation à la crise a été de 2 natures différentes pour les 2 confinements. La première phase a été beaucoup plus expérimentale car subite. Avec l’opération “Le musée chez vous” vous avez dû réagir très rapidement en vous appuyant sur l’existant. Qu’avez-vous alors proposé entre mars et juin 2020 ?
Dans le cadre du “musée chez vous” nous avons développé de nombreux projets en puisant dans ce que nous avions : notre historique d’exposition, notre base de données de collections, la documentation numérique. Et surtout en mobilisant notre imagination et les moyens du bord : une tomate cerise pour faire office de sphère, par exemple. Visite virtuelle, ateliers dématérialisés, jeu de piste en ligne, contes pour enfants, coulisses du musée, conférences, etc. ont ainsi pu être développés.
Des contenus numériques, nous en avions beaucoup, trop peut-être même. Notre souci a davantage été de les adapter à la demande des publics que d’en produire. Cela nous a demandé une expertise que nous n’avions pas forcément. Nous avons dû nous réinventer et cela nous a beaucoup enrichis.
- Durant cette première phase de confinement, vous avez du imaginer une première manière de faire vivre une exposition hors de ses murs et de manière numérique avec l’exposition Prototype en ligne. Quel bilan en avez-vous tiré ?
Le principal bilan que j’en tire est l’investissement exceptionnel et la capacité à se réinventer chaque jour des équipes, ils ont permis de créer une rupture dans nos pratiques professionnelles.
Je pense que nous ne travaillerons plus jamais de la même façon : le numérique sera désormais intégré à tous nos projets.
Prototypes, exposition confinée le jour même du vernissage, en a été l’exemple parfait. Quelle déception pour nous tous, nous avons alors décidé de proposer une visite dématérialisée, imaginer des ateliers et des activités manuelles un peu en mode do it yourself. Pour que cela fonctionne, il fallait aussi être capable de s’adresser à plusieurs types de publics. Nous y sommes arrivés avec peu de moyens.
Cela nous a aussi permis d’identifier les ressources dont nous avions besoin pour arriver à un résultat moins «artisanal». Cette expérience a immédiatement été réinvestie dans des outils de réalité augmentée ou de visite virtuelle pour l’exposition Top modèles… qui elle aussi a joué de malchance puisqu’elle a été confinée une semaine après le vernissage.
J’ai cependant un regret. Lors du premier confinement de nombreuses institutions culturelles se sont saisies du numérique. C’était extraordinaire et je pense que cela a soutenu le moral de beaucoup de gens pendant cette période compliquée. Mais pour nous, qui n’avons pas la force de frappe des grands, il a été difficile de se frayer un chemin et d’être suffisamment visible au milieu de la production remarquable dont a fait preuve la culture.
Résultat, je pense que nous avons davantage touché les visiteurs qui nous suivaient déjà que conquis de nouveaux publics. C’est sur eux que se porte le challenge que nous cherchons à relever aujourd’hui.
- Lors de la première réouverture de juin 2020, avez-vous adapté votre médiation in situ ? imaginé de nouvelles expériences in-situ ?
La première chose que nous avons faite a été d’expertiser le parcours permanent au regard des contraintes sanitaires.
Nous avons dû repenser un sens unique de parcours sans croisement de flux et par voie de conséquence revoir la signalétique. Chose étonnante, cela a donné une meilleure lisibilité au parcours. Nous allons donc conserver ce parcours unique et l’améliorer en mettant à disposition des visiteurs de nouveaux outils d’aide à la visite.
Informations supplémentaires: https://www.arts-et-metiers.net/musee/visite-flash-la-pile-de-volta
Nous avons aussi transformé nos visites classiques en visites flash autour d’un objet. La réception par le public a été très bonne. Trop peut-être, les visiteurs se pressaient autour de ces courtes pastilles proposées par les médiateurs du musée. A nous de voir comment on transforme l’essai sans abandonner pour autant les visites.
- Avec le second confinement d’octobre 2021, le musée a “eu le temps” de créer autre chose et vous n’avez d’ailleurs pas poursuivi “le musée chez vous”. Peut-on dire que vous passez en phase “d’industrialisation” de la communication et de la médiation numérique ?
Le mot industrialisation va en faire hurler plus d’un. Néanmoins, nous allons passer de l’expérimentation à la généralisation de la médiation numérique, en y investissant du temps et des moyens.
Mais il n’est pas question d’abandonner la médiation classique, et encore moins la médiation humaine qui est le cœur du projet de transmission du musée.
- Avez-vous pu vous appuyer sur vos médiateurs pour imaginer ces nouvelles formes de relation avec vos publics ?
Je ne me suis pas seulement appuyée sur les médiateurs, ils ont été les forces de proposition et les acteurs de la mise en œuvre. Sans eux rien n’aurait été possible.
- Une des premières innovations a été la visite virtuelle de l’exposition “Top modèles” qui avait ouvert en octobre juste avant le re-confinement. Une expérience très aboutie associant virtuel et incarnation humaine. Quel a été le budget de cette visite virtuelle ?
La visite virtuelle vient d’être lancée, on fera le bilan de sa fréquentation une prochaine fois.
Le budget de production est significatif, tout en étant raisonnable, eu égard aux objectifs que nous nous étions fixés.
Nous souhaitions une qualité de restitution précise et agréable, une prise en main facile par le visiteur, et une variété de parcours tant en termes de public que de thématique. Les œuvres présentées, des modèles d’ateliers de menuisiers, fondeurs, etc. sont d’une délicatesse, d’une minutie et d’une esthétique exceptionnelles. Elle méritait cela.
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Vous avez poussé l’incarnation humaine associée à la visite virtuelle de l’exposition encore plus loin en lançant des visites commentées interactives sur Zoom proposées le lundi à 18h ou le mercredi à 15h.
Les visites ayant été lancées il y a peine deux semaines avec juste deux cessions et pas encore de communication, il n’est pas possible de faire de bilan quantitatif.
En revanche les retours que nous avons sont excellents. Tant par la qualité de la médiation que par la balade virtuelle dans l’exposition qui permet de voir les objets, de faire des gros plans sur des détails et de découvrir des objets et des documents qui ne sont pas physiquement présents dans l’exposition.
Pour ce qui concerne la participation des médiateurs, je pense qu’il est important de respecter la sensibilité de chacun. Seuls ceux qui étaient volontaires pour accompagner ces visites virtuelles ont travaillé dessus. Mais cela a déjà fait des émules, nous pourrons donc développer ce type de projets.
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Ces visites d’une heure suivent toutes le même parcours ?
Cette visite virtuelle n’est ni une conférence, ni une discussion. Comme dans une visite classique, le télé-visiteur peut poser des questions. Le médiateur a quelques trésors dans son escarcelle numérique qui lui permette de répondre à des questions en montrant des documents ou des œuvres.
Mais comme dans une visite, mieux vaut ne pas interrompre le médiateur dans son discours. Dans une exposition classique, quand on passe d’une œuvre à l’autre, il y a un temps de déplacement. Dans le dispositif virtuel c’est pareil, le médiateur déplace sa caméra et cela créé autant de petits temps propices à l’échange. Le médiateur lui-même peut demander aux télé-visiteurs s’ils ont des questions de façon à favoriser l’interaction.
Informations supplémentaires: https://www.arts-et-metiers.net/musee/visite-commentee-en-ligne-de-lexposition-temporaire-top-modeles-une-lecon-princiere-au-xviiie
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Pourquoi avez vous choisi de monétiser cette activité à hauteur de 4 euros la visite d’une heure. Pour les rentabiliser ou pour leur donner une valeur ?
Je crois que la rentabilité des musées en 2020 et 2021 n’est pas le sujet. Pour nous, elle sera désastreuse. La baisse de nos ressources propres est significative et ne sera pas compensée. Cela aura sans doute une incidence forte sur la programmation des années à venir, puisque nous travaillons avec des anticipations de plusieurs années notamment pour les expositions. Mais, si nous avons choisi de monétiser cette visite ce n’est pas pour compenser ces pertes. Ce ne serait qu’une goutte d’eau…
La raison de ce choix est différente : la culture gratuite, depuis son canapé et pour tous a été l’une des ruptures marquantes du premier confinement. L’avenir nous dira comment les théâtres, les cinémas et les musées s’en remettront.
Laisser penser que tout est gratuit signifie en filigrane que cela ne coûte rien et n’a donc pas de valeur.
4€ est un prix très raisonnable qui n’est a priori pas un frein à la visite mais exprime clairement que ce contenu présenté a été élaboré avec le même soin que les expositions réelles du musée qui, elles, sont payantes.
La seconde raison de ce choix s’inscrit dans la prospective, monétiser cette visite permettra de la pérenniser quand le musée sera rouvert.
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Allez vous maintenir ces visites après la réouverture ?
Ces visites ont vocation à être maintenue, mais également développée dans de nouveaux formats à destination de nouveaux publics.
Pourquoi pas des ateliers, des visites scolaires ? Nous y réfléchissons.
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De manière globale, allez vous accroitre la part du numérique (in situ ou en ligne) dans le budget de vos prochaines expositions ? à quelle hauteur ?
Avec l’exposition Top modèles, nous avions sauté le pas avant même le re-confinement par un travail sur la réalité augmentée.
Pour la saison à venir nous allons travailler sur un dispositif numérique dédié au parcours permanent.
Quant aux expositions à venir, le numérique fait déjà partie du projet scénographique que nous développons pour transformer l’expérience des visiteurs. Le travail est engagé, toutefois, le musée doit rester le lieu d’une relation intime entre l’œuvre ou l’objet, et le visiteur. Cette relation ne doit pas être amoindrie ou dévoyée par le numérique. Il faut trouver le bon curseur. Cette période particulière nous aide à le faire bouger.
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En attendant la réouverture, vous lancez le 23 mars un nouveau dispositif numérique de médiation “Le 1/4 h pas chiantifique”. Quel en est le principe ? pourquoi avez vous choisi Facebook Live ?
Le 23 mars 2021, nous sortons «Le ¼ d’heure pas chiantifique». 15 minutes avec un médiateur pour découvrir en s’amusant une des inventions phare du musée.
Ce sera gratuit, et surtout pas chiant. Parce qu’il faut arrêter de croire et faire croire que scientifique rime avec chiantifique.
Ce nouveau dispositif s’articulera autour d’un nouveau ¼ d’heure avec une nouvelle invention tous les 15 jours.
Choisir Facebook live doit nous permettre de créer une relation différente avec nos visiteurs mais également avec d’autres communautés.
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Vous avez choisi un ton un peu décalé moins académique. Pour toucher un public plus jeune ? Ce sont vos médiateurs qui l’animeront ?
On aimerait trouver un public plus jeune, c’est pour cela qu’on fait un pas de côté pour utiliser un ton décalé, moins académique, avec un contenu tout aussi sérieux.
Ce sont nos médiateurs qui se sont emparés du sujet et qui acceptent de se mettre en scène. Je ne peux que les remercier.
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La désacralisation des discours n’est elle pas une leçon générale de cette période si spéciale ? Ne répond-elle pas à une demande croissante des publics des lieux scientifiques, artistiques et historiques ?
Si certainement. Mais faire passer des messages moins “académiques” ne doit pas nous exonérer de la qualité et de la véracité de ce qui est produit. Certains, commeles Youtubers, le font avec bonheur et c’est souvent jubilatoire.
Ce sont de nouveaux métiers, de nouveaux moyens de transmission. A nous, institution ancienne et certainement un peu conservatrice, de nous en emparer.
- Avez-vous des projets de partenariat avec des youtubers autour des collections du musée ?
Nous en avons fait pendant le premier confinement avec Mickaël Launay Robin Jamet dans le cadre de leur Myriogon. C’était incroyable, on va continuer.
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Avez vous de nouveaux projets éducatifs ?
Nous travaillons sur différents projets dont un avec la MLF (Mission laïque française), sur des dispositifs de type Education Artistique et Culturelle (EAC) des classes de l’étranger.
Ce projet sera forcément virtuel dans notre relation avec les classes, mais également avec les artistes en résidence qui travailleront avec nous.
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Comme tous les musées de France vous préparez avec impatience votre réouverture. Que proposerez vous à vos visiteurs lors de cette réouverture dans le respect des règles sanitaires ?
Nous conserverons le parcours de marche en avant avec un sens de visite unique. Pour la médiation nous continuerons les visites flash et reprendrons quand cela sera possible nos visites traditionnelles.
Nous allons éditer de petits documents d’aide à la visite, pour adultes mais aussi pour enfants.
Nous travaillons sur cette visite backpacker où les enfants auront non pas un livret de visite à colorier ou à remplir, mais un sac à dos avec différentes activités ludiques et pédagogiques faisant appel à plusieurs sens et registres pour découvrir nos collections.
- Pour des raisons sanitaires, allez vous supprimer / neutraliser des outils numériques tels que les audioguides ou les tables / écrans tactiles ?
Comme lors de la première réouverture, nous nous conformerons aux consignes données pour les musées. S’il faut continuer à neutraliser les dispositifs numériques nous le ferons.
Même si nous préfèrerions disposer des distributeurs de gel hydroalcoolique le long du parcours pour préserver cette médiation in situ.
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Allez-vous prolonger l’expérience d’audioguidage avec reconnaissance d’images, avec museopic ?
Non seulement nous allons prolonger cette expérience numérique, mais nous allons la développer dans le parcours permanent en proposant une rencontre d’un autre type avec les collections.
C’est un projet sur lequel nous travaillons. Nous souhaitons un parcours autour des inventions avec une forte dimension narrative et interactive.
Je ne sais pas si j’aurais imaginé cela il y a deux ans quand je suis arrivée, mais ce confinement nous a vraiment obligé à nous réinventer.
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Pouvez-vous déjà nous parler de votre projet de la saison prochaine “autour des grands inventeurs” ?
Le projet sera consacré aux inventions, voire aux innovations, présentées dans le musée.
L’idée est de proposer aux visiteurs une expérience différente, qui fait appel à différents registres : cognitif, esthétique, émotionnel et pourquoi pas éthique.
A chaque étape, un dispositif permettra au visiteur de se saisir d’un sujet, un enjeu, une histoire autour de l’invention présentée.
Le public prioritaire sera celui des adolescents, jeunes adultes et adultes. Pour les enfants nous privilégions l’activité backpacker.
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Si vous receviez un généreux don, quel projet (pas nécessairement numérique) rêveriez vous de déployer au sein de votre musée ou hors de ses murs ?
Je rêve d’un «MAM bus».
Un bus du musée des Arts et Métiers qui, chaque jour, irait chercher une classe ou un groupe dans un territoire francilien moins favorisé. Chaque jour nous accueillerions ce groupe de VIP à qui nous essaierions de transmettre notre passion de la science, des techniques et des inventions. Ce projet pas numérique, mais il est essentiel.
Et si le don était vraiment très généreux, alors j’aurais deux bus. Le second irait chercher des classes en région. Et soyons fous pourquoi ne pas imaginer avoir encore un don pour l’hébergement.
A bon entendeur…
Propos recueillis par mail entre le 16 et le 18 mars 2021
SOURCES: Musée des Arts et Métiers
PHOTOS: Musée des Arts et Métiers
PHOTO du carousel: Capture d’écran de la visite virtuelle du Musée des Arts et Métiers
Date de première publication: /03/2021
Le Musée des Arts et Métiers est membre du Clic France
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