Le 23 novembre 2021, le laboratoire de biologie computationnelle et quantitative du CNRS a révélé au public le projet « La ReÌvolution de l’ADN » pour l’archivage. Une petite eÌquipe de biologistes et d’informaticiens a conçu et breveteÌ la technologie DNA Drive avec des financements d’amorçage de Sorbonne UniversiteÌ et du CNRS puis de la SATT Lutech. Ils se sont associés aux Archives Nationales pour tester cette technologie révolutionnaire d’archivage. L’un des premiers textes seÌlectionneÌs a eÌteÌ choisi parmi ceux inscrits au programme MeÌmoire du monde de l’UNESCO, il s’agit de la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, accompagné de la DeÌclaration des droits de la femme et de la citoyenne, texte non institutionnel reÌdigeÌ par Olympe de Gouges et publieÌ en 1791.
Le directeur de recherches CNRS, attaché au Laboratoire de biologie computationnelle et quantitative et membre de l’équipe du projet raconte la démarche et sa genèse.
« Tout a commenceÌ par un article publieÌ en 2018 dans le journal de l’association eÌtudiante Alma Mater. Dans ce journal, distribueÌ sur le campus de Sorbonne UniversiteÌ, il y avait un article sur la technologie de stockage sur ADN. En lisant cet article, j’ai indiqueÌ aux eÌtudiants de cette association que mon eÌquipe maiÌ‚trisait les technologies de manipulation de l’ADN et pourrait donc encoder de l’information sur ADN. Ils m’ont alors mis au deÌfi de le prouver. Je leur ai reÌpondu que j’eÌtais preÌ‚t aÌ€ le faire mais uniquement pour encoder des donneÌes importantes et ayant du sens. Ils ont donc reÌfleÌchi et sont revenus me voir apreÌ€s quelques semaines pour me dire : nous avons trouveÌ, il faut encoder la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Je leur ai reÌpondu que c’eÌtait une excellente ideÌe mais qu’il fallait aussi encoder la DeÌclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791« .
- Un double objectif
L’eÌquipe du projet « ADN Drive » a ensuite poursuivi un double objectif :
– obtenir une preuve de concept de l’efficaciteÌ de cette technologie de stockage, le DNA Drive ;
– encoder sur ADN des textes fondateurs français aÌ€ forte valeur symbolique et historique.
Le projet « La ReÌvolution de l’ADN », profondeÌment pluridisciplinaire, a impliqueÌ des historiens, philosophes, informaticiens, et biologistes.
L’un des textes seÌlectionneÌs a eÌteÌ choisi parmi ceux inscrits au programme MeÌmoire du monde de l’UNESCO : la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il a sembleÌ essentiel aÌ€ l’eÌquipe de l’accompagner de la DeÌclaration des droits de la femme et de la citoyenne, texte non institutionnel reÌdigeÌ par Olympe de Gouges et publieÌ en 1791. L’association de ces deux deÌclarations veÌhicule des valeurs humanistes auxquelles l’eÌquipe est attacheÌe.
« Pouvoir mettre le texte d’Olympe de Gouges au meÌ‚me niveau que la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen, 230 ans plus tard, est un reÌel succeÌ€s sur les plans de l’eÌgaliteÌ femme-homme, de la reconnaissance du travail d’Olympe de Gouges et corrigeant une erreur de l’Histoire », se feÌlicite Pierre Crozet, maiÌ‚tre de confeÌrences aÌ€ Sorbonne UniversiteÌ, eÌgalement membre de l’eÌquipe projet.
- Un partenariat avec les Archives nationales et des entreprises internationales
Ce projet a eÌteÌ meneÌ dans le cadre d’un partenariat eÌtroit entre l’eÌquipe de recherche et les Archives nationales, qui conservent l’original de la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’objectif eÌtait de permettre aux Archives nationales d’enregistrer officiellement ces deux textes encodeÌs sur ADN, une premieÌ€re mondiale pour une institution publique.
Le projet a eÌteÌ eÌgalement meneÌ en partenariat avec Twist Bioscience, entreprise ameÌricaine speÌcialiste de la syntheÌ€se d’ADN, et Imagene, entreprise française speÌcialiste de la conservation aÌ€ long terme de l’ADN.
- Le principe
Les textes ont d’abord eÌteÌ encodeÌs sur ADN avec l’algorithme DNA Drive apreÌ€s une compression numeÌrique, similaire aÌ€ celle utiliseÌe pour les fichiers zip. Twist Bioscience a ensuite syntheÌtiseÌ des fragments d’ADN qui ont eÌteÌ assembleÌs et organiseÌs par l’eÌquipe de recherche sur des grandes moleÌcules d’ADN double brin. Ces moleÌcules ont eÌteÌ amplifieÌes biologiquement pour en obtenir plus
de 100 000 milliards de copies. Les moleÌcules d’ADN ont ensuite eÌteÌ extraites, purifieÌes puis encapsuleÌes sous forme lyophiliseÌe dans des capsules DNAshell © par Imagene.
L’exteÌrieur de ces capsules est en acier inoxydable, l’inteÌrieur en verre, et elles permettent d’encapsuler l’ADN sous atmospheÌ€re inerte. Cette technologie permet de preÌserver l’ADN des dommages du temps en le proteÌgeant de la lumieÌ€re, de l’air et de l’oxygeÌ€ne, et de le conserver sans aucun apport d’eÌnergie aÌ€ tempeÌrature ambiante. La dureÌe de conservation de l’ADN est estimeÌe aÌ€ plus de 50 000 ans dans ces capsules. Chaque capsule peut contenir une quantiteÌ d’ADN correspondant aÌ€ 5000 To de donneÌes numeÌriques.
L’ouverture d’une capsule permet de reÌcupeÌrer l’ADN en y ajoutant une goutte d’eau, afin de le reÌhydrater. Pour relire l’information, un peu de l’ADN est deÌposeÌ dans un seÌquenceur. Une fois la seÌquence d’ADN relue, l’algorithme DNA Drive est utiliseÌ pour la convertir en information binaire qui est ensuite deÌcompresseÌe numeÌriquement afin de retrouver le ou les fichiers d’origine.
- 2 déclarations 2 capsules
Dans le cadre du projet « La ReÌvolution de l’ADN », deux DNA Drive diffeÌrents ont eÌteÌ creÌeÌs : un pour stocker la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et l’autre pour la DeÌclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791.
Chaque DNA Drive a eÌteÌ stockeÌ dans des capsules DNAshell © distinctes. Chaque capsule contient plus de 100 milliards de copies du fichier sous forme d’ADN. AÌ€ plusieurs reprises, les chercheurs ont pu ouvrir des capsules, seÌquencer l’ADN contenu et veÌrifier que l’on pouvait reÌcupeÌrer le fichier avec une fideÌliteÌ de 100%. Ces deux textes historiques sont donc deÌsormais conserveÌs pour des milliers d’anneÌes.
Ainsi, le projet a permis d’obtenir une preuve de concept de la fonctionnaliteÌ de la technologie DNA Drive. Les capsules contenant les deux DNA Drive ont eÌteÌ exposeÌes lors de la confeÌrence de presse du 23 novembre 2021, et officiellement eÌteÌ enregistreÌes par les Archives nationales comme premieÌ€res archives sous forme ADN. Elles sont deÌsormais conserveÌes dans l’Armoire de Fer qui contient les plus preÌcieux documents des Archives nationales.
- Un mouvement mondial
Les Archives nationales ne sont pas les seules à espérer de cette nouvelle technologie.
Certains géants du numérique y travaillent et y croient également. Microsoft, par exemple, a mis au point une machine qui écrit et lit automatiquement des informations numériques dans l’ADN.
Comme l’explique France Infos, les chercheurs se sont appuyés sur la société de biotechnologie Twist, l’un des leaders de l’ADN de synthèse.
« Le problème, ce n’est pas de prouver que ça marche, c’est de diminuer les coà»ts, explique sa fondatrice, la Française Emily Leproust. Aujourd’hui, le coà»t de stockage dans l’ADN s’élève à 1 000 euros par megaoctet, contre 100 euros par teraoctet pour un disque dur. Il y a donc vraiment des ordres de grandeur différents pour les coà»ts. »
Pour réduire ces coà»ts, la recherche doit encore développer un système fiable et abordable. Mais selon Emily Leproust, l’ADN finira par révolutionner le secteur des data-centers : « L’ADN est toujours très lent à relire. Son but, c’est le stockage à long terme, l’archivage. Or, 60% des data-centers font de l’archivage. Ceux-là , à terme, seront remplacés par de l’ADN. Mais les autres 40% o๠l’information doit sortir à n’importe quel moment, cela restera sur des mémoires flash et des disques durs. »
La scientifique a lancé une alliance de laboratoires et d’entreprises pour promouvoir cette technologie du stockage sur ADN. On y retrouve une trentaine d’adhérents, dont des laboratoires d’université, des entreprises de biotechnologie et le géant Microsoft.
A propos de la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen
AdopteÌe le 26 aouÌ‚t 1789 et placeÌe en preÌambule de la Constitution de 1791, la DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen est neÌe des discussions de l’AssembleÌe constituante. ProfondeÌment lieÌ au contexte reÌvolutionnaire, ce texte fondateur abolit l’Ancien reÌgime et pose les bases de la socieÌteÌ française et des diffeÌrents reÌgimes politiques qui se succeÌ€dent. Universel, il connaiÌ‚t un retentissement international et s’impose deÌfinitivement aÌ€ la posteÌriteÌ.
La DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est inscrite en 2003 par l’UNESCO au Registre « MeÌmoire du monde » qui recense le patrimoine documentaire preÌsentant un inteÌreÌ‚t international et une valeur universelle exceptionnelle.
La DeÌclaration des droits de l’homme et du citoyen est preÌsenteÌe aux Archives nationales, jusqu’au 3 janvier 2022, dans le cadre du nouveau cycle Les Essentiels.
A propos de la DeÌclaration des droits de la femme et de la citoyenne
C’est aÌ€ la mi-septembre 1791 qu’Olympe de Gouges a publieÌ sa DeÌclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle repose sur l’ideÌe que les femmes, qui posseÌ€dent toutes les faculteÌs intellectuelles, ont par nature les meÌ‚mes droits que les hommes. La Nation eÌtant deÌfinie comme « la reÌunion de la femme et de l’homme » (article 3), elle en deÌduit que « la Constitution est nulle si la majoriteÌ des individus qui composent la nation n’a pas coopeÌreÌ aÌ€ sa reÌdaction ». La deÌclaration d’Olympe de Gouges passa presque inaperçue et les eÌcrits feÌministes des anneÌes suivantes, comme ceux du XIXe sieÌ€cle, ne s’y reÌfeÌreront pas. Mais la forme de ce texte, celle d’une deÌclaration des droits, est unique aÌ€ son eÌpoque et lui confeÌ€re une force qui expliquera son succeÌ€s tardif dans la seconde moitieÌ du XXe sieÌ€cle.
SOURCES: CNRS (CP et DP), Archives Nationales, Sorbonne Université
PHOTOS: Archives Nationales, CNRS
Date de première publication: 23/11/2021
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