Florence Raymond, attachée de conservation au sein du Palais des Beaux-Arts de Lille notamment en charge des nouveaux médias revient sur le lancement du guide de visite jeunesse sur tablettes, dresse un bilan de son guide multimédia et parle des nouveaux projets numériques.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis attachée de conservation au sein du Palais des Beaux-Arts de Lille depuis 3 ans, en charge de trois départements : les plans en relief depuis peu, les collections du XVIIIe siècle (ma spécialité d’origine) et les nouveaux médias. Mes années de formation au Louvre m’ont appris à penser une histoire de l’art en lien avec nos publics et nos grandes évolutions contemporaines.
Comment est né le projet de guide famille sur tablettes Museo+ ?
Les usages dans notre quotidien changent. Il s’est vendu six millions de tablettes en France en 2013… C’est un équipement qui se démocratise. Notre réflexion est donc de se dire que les habitudes du quotidien évoluent, et que le lieu culturel, quel qu’il soit, se doit aussi de proposer un confort de visite. Il ne faut pas qu’il y ait un fossé entre des habitudes de vie, et un lieu culturel qui, s’il ne s’adaptait pas, semblerait dépassé dans son offre.
Qui en a eu l’idée ?
Après une première collaboration dans le cadre d’un parcours en langue des signes pour notre visioguide, ce sont Signes de Sens et 2Visu Production, les co-producteurs de notre tablette tactile, qui sont venus vers le Palais des Beaux-Arts pour que nous répondions ensemble à un appel à projet « expériences interactives 2012 » lancé par Pictanovo (la structure d’aide à l’innovation de la région Nord pas De Calais).
Combien de temps a duré le développement ?
Notre rôle n’est pas de courir après la technologie : ce projet représente plus de 15 mois de production, sans doute un délai assez long pour sortir deux nouveaux modèles de tablettes sur le marché actuel ! Un lieu culturel sera toujours en décalage avec les dernières nouveautés qui parfois ne durent pas. Notre ambition est d’utiliser le meilleur des nouvelles technologies en évitant le gadget éphémère. Dans un musée, la difficulté peut également tenir au réseau disponible : il n’y a pas ou peu de wifi dans les lieux muséaux, souvent monuments historiques, avec parfois peu de réseau téléphonique ou de 3G dans certaines zones. C’est une contrainte dont il faut apprendre à jouer. Nous avons donc fait le choix d’embarquer l’intégralité de l’application sur la tablette.
Pourquoi avoir choisi une tablette tactile ?
Cette tablette ne remplace pas l’audioguide. Pour nos collections permanentes, le visioguide (iPod Touch) est en service depuis mars 2012 pour les collections permanentes comme pour les expositions temporaires. L’apport de la tablette a été pensé comme un complément à cette première offre numérique. Et tout particulièrement pour le jeune public, notamment les enfants en situation de handicap. L’objectif était de choisir une tablette avec un écran assez grand, pour que l’utilisation et l’expérience de visite soient collectives (2 à 3 enfants en moyenne par appareil).
Pourquoi avez-vous choisi un iPad et non pas une autre tablette ? N’est ce pas un matériel trop fragile pour des jeunes ?
C’est le contenu qui a décidé de la tablette, et non l’inverse. L’association Signes de sens, avec laquelle nous avons travaillé, produit son application pour iOS, donc pour Apple. Le choix du support s’est donc imposé. Il se trouve également que le téléchargement de contenu culturel est très majoritaire sur App Store à l’heure actuelle. Cela évoluera sans doute, mais c’est le cas aujourd’hui en France. Quant à la gestion matérielle de l’Ipad, un filtre a été placé sur l’écran ; il a été doté en outre d’une coque protectrice avec une poignée permettant aux enfants de porter et de poser la tablette facilement à travers les salles du musée.
Des musées ont déjà introduit l’Ipad comme outil de médiation. Quelle est la spécificité de votre service ?
C’est un outil qui a tendance à être de plus en plus présent dans les musées. Mais notre contenu, spécifiquement destiné à tous les enfants, porteurs ou non de handicaps, est une particularité rare. Dans le Nord – Pas-de-Calais, nous sommes les premiers.
L’application est-elle dédiée aux jeunes en situation d’handicap ? aux jeunes en général ou à la famille ? jeunes en groupes ou en familles ? Peut-on s’adresser de la même manière à ces 3 publics ?
Nous avons cette grande utopie de penser que le contenu peut être accessible à tous, surtout si l’enfant est en situation de handicap (surdité, autisme etc.) Tous les enfants (6-12 ans) peuvent ainsi accéder au contenu, par le biais de la voix off, du sous-titrage pour ceux qui lisent déjà, de la langue des signes pour ceux qui la comprennent, par l’intermédiaire des jeux aussi, une nouvelle approche ludique beaucoup plus accessible que sur d’autres supports. Le handicap, qui souvent exclut, réunit ici les membres d’une classe ou d’une famille autour de la tablette.
L’application est elle un jeu sérieux ou un parcours plus traditionnel ?
L’application a été pensée dans une approche de parcours, pour proposer un jeu de piste aux enfants. Concrètement, sept oeuvres principales sont proposées. Elles se situent sur les trois niveaux du musée, du rez-de-chaussée jusqu’au premier étage. Le parcours va durer de 45 minutes à une heure, ce qui est le temps jugé pertinent pour ce type de parcours. Les sept oeuvres proposées sont très différentes, depuis un portrait de l’Antiquité jusqu’à une oeuvre abstraite, en passant par un ancien objet du quotidien pour des expériences et des approches variées. Des jeux éducatifs ponctuent chaque commentaire d’œuvre, trois bonus et une frise chronologique sont également proposés dans le parcours pour aider l’enfant à se situer par rapport à ce qu’il a vu, tant du point de vue de l’échelle des éléments que de leur temporalité.
L’application a-t-elle été conçue avec des jeunes ayant un handicap ? quel a été le rôle des laboratoires universitaires DeVisu, GERIICO, et URECA avec lesquels vous avez travaillé dans le cadre du programme régional «Chercheurs & Citoyens» ?
Les évaluations des dispositifs numériques introduits dans les musées manquent souvent cruellement, alors que l’investissement humain et financier pour ce genre de projet est généralement très important. Notre chance a été de pouvoir bénéficier d’une expérimentation de 3 semaines avant la sortie de la version 1. Près d’une centaine d’enfants ont participé à cette étude qualitative et quantitative, travaillant notamment la notion de bonheur au sein du musée et la compréhension d’un environnement découvert grâce à un outil numérique. Des ajustements en matière d’ergonomie (plans d’orientation notamment) ont pu être réalisés avant le lancement officiel de la tablette. Cette expérimentation sera suivie au printemps 2014 d’une évaluation au sein du musée par les mêmes laboratoires et chercheurs.
La tablette est elle payante ?
La tablette est incluse dans le prix du billet d’entrée. C’est un aspect auquel nous tenons, puisque déjà choisi pour nos visioguides qui sont eux aussi inclus dans le billet d’entrée. Nous mettons donc à disposition 10 iPads. Les visiteurs qui le souhaitent peuvent utiliser une tablette tactile en délivrant une pièce d’identité en caution. Ils peuvent ensuite utiliser la tablette pendant le temps qu’ils souhaitent dans le musée, au gré de leur visite.
L’application est-elle téléchargeable ?
La version hors site de l’application « Muséo+ PBA Lille » est téléchargeable sur l’App Store depuis le 21 février. Les trois premières œuvres sont gratuites, les quatre suivantes payantes (achat à l’unité à 0.89 euros et par pack).
Quel a été le budget de ce projet ? Comment avez-vous financé l’équipement et le développement ? Comment allez-vous le rentabiliser ?
Le budget total du projet, expérimentation comprise, est de 120 000 € que trois partenaires financiers se sont partagés à part égale : la Caisse d’Epargne Nord France Europe, notre mécène numérique, Vivendi, grâce à son programme « Create Joy » et Pictanovo. Le musée a valorisé la mise à disposition de son personnel engagé dans le suivi de la production sur 15 mois et a pris à sa charge l’acquisition du matériel. Pour le musée, l’investissement financier est donc minime, c’est pour cela aussi que nous avons fait le choix de proposer des outils numériques gratuits au public. Ce type de montage nous permet de nous affranchir d’une simple logique de rentabilité financière, pour privilégier la rentabilité culturelle du projet.
Avez-vous d’autres développements envisagés pour la tablette dans votre musée ? dans d’autres musées ?
En ce qui concerne le Palais des Beaux-Arts, d’autres utilisations et projets sont certainement envisageables avec une tablette. Il serait dommage de ne pas exploiter le bel outil. Nous utiliserons nos iPads dans le futur pour d’autres contenus : catalogue d’exposition numérique, applications questionnant la relation à l’objet etc. pour tous les publics.
Cette application sur tablette pourrait-elle être dupliquée ou adaptée dans d’autres musées ?
Oui car l’application « Muséo+ PBA Lille » a été conçue pour être adaptable à d’autres musées ou sites culturels.
L’audioguide a été mis en place il y a environ un an et demi. Quel premier bilan en tirez-vous ?
Une large étude de nos publics vient de débuter. Réalisée en partenariat avec Sciences Po Lille pour une durée 4 mois, les résultats pour le numérique sont attendus pour le second semestre 2014. Une évaluation de nos tablettes sera également menée au printemps par trois laboratoires universitaires de recherche : DeVisu, GERIICO, et URECA dans le cadre du programme régional « Chercheurs & Citoyens ».
En matière de taux de prise pour les visioguides, notre pourcentage est de 25% en moyenne annuelle. L’application de l’exposition Babel a engendré plus de 2 000 téléchargements sur iTunes et Google Play, notre meilleure performance parmi les 4 applications déjà lancées avec Audiovisit. Les téléchargements sur iTunes ont représenté près de 70% de l’ensemble des téléchargements.
Envisagez-vous des évolutions prochaines de cet outil ?
Toutes nos grandes expositions bénéficient d’un visioguide multilingue et d’une application téléchargeable déclinée pour iPhone et Android. Nous allons poursuivre cette politique de production des contenus en la renouvelant, notamment avec des parcours enfants pour les expositions temporaires.
Avez-vous d’autres projets numériques en cours ?
Oui et c’est un gros chantier. Nous avons prévu en 2014 la refonte de notre site internet et de l’identité visuelle du musée. Par ailleurs, nous réfléchissons à des idées ou projets en matière de numérisation 3D et d’éditions numériques… Les projets ne manquent pas.
Présentation vidéo de l’application iPad
Présentation des applications mobiles sur le site web du PBA
Résultats du musée en 2013
Visiteurs réels : 230 000 visiteurs
Visiteurs sur le web : 324 250 visiteurs
Facebook depuis octobre 2012 : 6 870 fans
Twitter depuis octobre 2013 : 310 abonnés
Nb de locations de visioguides : 29 000 locations
Interview réalisée par mail entre le 10 et le 20 février 2014.
Date de première publication: 28/02/2014
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