[OPINION] Julien Duquenne, directeur de l’Office de Tourisme du Pays de Saint-Omer : “notre culture, notre religion, c’est l’imaginaire”

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Ce que Julien Duquenne, directeur de l’Office de Tourisme du Pays de Saint-Omer, appelle “le pouvoir de l’imaginaire” infuse partout dans les prises de parole et les équipements de la structure, ce que nous avons abordé sous deux exemples emblématiques : l’Office de Tourisme – Maison du Marais à la scénographie aux influences verniennes, et le récit de territoire “Omerveilleux” qui positionne le territoire comme un parc d’attractions géant. Dans la perspective d’un prochain webinaire sur le sujet des “nouvelles formes de narration”, le CLIC publie cette interview extraite de l’ouvrage: “Introduction, ou comment les récits nous habitent”.

[EVENT CLIC] Le lundi 9 décembre 2024, le CLIC et Akken organisent un webinaire sur les “nouvelles narrations dans le tourisme et la culture”. Avec les interventions de Carole Calvez, designer olfactif; Amandine Jeanson, Chargée de projets numériques, Palais des Beaux-Arts de Lille; Nicolas Barret, Directeur EPCC Mémorial de Verdun – Champ de Bataille et Laurence Giuliani, autrice et fondatrice d’Akken. Webinaire réservé aux membres du CLIC. Inscription en ligne obligatoire: webinaire@club-innovation-culture.fr www.club-innovation-culture.fr/event/webinaire-clic-akken-nouvelles-narrations-9-12-2024/

  • Avant d’accoster à l’Office de Tourisme de Saint-Omer, vous travailliez dans un lieu d’interprétation du patrimoine.

Oui, j’ai longtemps travaillé à la Coupole, centre d’histoire et de mémoire et planétarium 3D, installée dans un ancien centre de tirs de V2, à Wizernes.

C’était un défi de taille puisqu’il s’agissait de “faire rêver” les gens sur l’espace et les sensibiliser à la conquête spatiale, aux côtés d’un propos sur la Seconde Guerre Mondiale.

Très vite, nous avons cherché à placer l’humain au cœur de la visite, notamment au travers de la figure de l’inventeur des V2. On a voulu se rapprocher de lui en se demandant ce que ce jeune homme de 30 ans à peine à l’époque, lecteur invétéré de Jules Verne, pouvait avoir dans la tête en plein conflit mondial, pour réduire l’écart entre ce pan de l’histoire et les visiteurs.

Dès 2013, on a réfléchi à trouver des manières autres pour faire comprendre le site, pour transmettre le savoir que nous détenions à son propos, en mettant le visiteur au cœur de son expérience de découverte, en l’engageant, en le rendant acteur de la situation.

Au départ, notre intuition a été de transmettre des connaissances par le jeu, avant même d’y introduire du récit. C’est ainsi que l’on a réalisé notre premier escape game, pour raconter l’histoire de la Coupole, dans un bâtiment vide à 8 kilomètres de là.

Cela s’est révélé être une opportunité pour offrir aux visiteurs un autre espace-temps grâce à la mise en scène d’un espace immersif, où la gamification active l’imaginaire.

Ce premier dispositif devait être temporaire et durer 2 mois. Aujourd’hui l’Office de Tourisme gère quatre escape-games permanents sur le territoire. Ils poursuivent tous un but culturel, et s’appuient sur des données historiques vérifiées et sourcées.

  • Quelle a été la seconde étape dans votre appréhension de l’opportunité de la mise en récit ?

Plus tard, en 2014, je travaille alors à l’Office de Tourisme de Saint-Omer, et nous décidons d’écrire et de faire réaliser notre premier film, “la Chambre des rêves”.

C’est un “anti-clip” touristique, qui dure 21 minutes, mettant en scène deux personnages muets, magiciens et musiciens. Ces deux personnages vont passer une nuit dans un très bel hôtel du territoire, et qui pensant vivre un séjour ordinaire, vont être plongés dans un rêve, le plus fantastique qui soit, celui de l’histoire du Pays de Saint-Omer, contée par Benoît Allemane, la voix française de Morgan Freeman.

Vidéo “La Chambre des Rêves” (2014) : 

Ce film est un mélange de réalité et de légendes, il a pour ambition de prendre le temps de rentrer dans l’histoire, et dans les paysages qui l’ont vue grandir.

Ça a été vraiment le point d’ancrage à notre relation au storytelling, nous n’avons à ce moment plus voulu faire marche arrière sur notre manière de concevoir notre communication touristique. Aujourd’hui la mise en récit et cette esthétique du merveilleux irrigue nos pratiques, tant dans la communication que dans la gestion de nos équipements (9 au total pour 30 employés). Ainsi, le visiteur va retrouver une couleur commune à l’ensemble de ces équipements.

  • Cela s’illustre notamment au travers de l’Office de Tourisme, qui se trouve dans la Maison du Marais ?

C’est un espace immersif mis en récit autour de la figure d’un homme du marais, nommé Capiot, qui accueille les visiteurs et leur raconte son histoire, son quotidien, l’histoire de sa ville et des outils qu’il utilise.

Cela se traduit par des vidéos chapitrées au long de la visite. L’une des vidéos est diffusée dans la reconstitution d’un habitat, elle a été tournée dans cette copie et vient donc créer un effet de mise en abîme entre la scénographie qui entoure les visiteurs et la vidéo à échelle 1 qu’ils regardent.

Au départ de cette aventure, il y a la découverte qu’on a faite, tout à fait par hasard, d’une cassette, derrière une machine à café, qui contenait le film amateur d’un docteur de 1955, et qui était de fait inutilisée dans la scénographie.

La première image, ce sont deux enfants qui se tiennent par l’épaule, elle a été intégrée dans le souvenir projeté du personnage de Capiot.

Ce dispositif permet à la fois de diffuser du contenu d’archives, de véhiculer des émotions, et de redonner leurs lettres de noblesse à des dons qui nous ont été faits par des familles de maraîchers, qui gardent la trace de leur histoire dans ce lieu.

  • Puis vous avez tiré le fil plus loin ….

Oui, on a imaginé un équipage, qui veillerait sur le marais, constitué de 5 personnes (en réalité l’équipe d’accueil), chacune et chacun ayant une marotte ou une compétence particulière l’une est “rumeurologue”, elle s’y connaît en légendes et en plantes, l’autre collectionne les outils et les histoires…un autre est biologiste et lutte contre les plantes invasives.

Cet équipage voyage dans un sous-marais (et non pas un sous-marin, comme on pourrait le supposer).

Il existe en taille réelle, de 23 mètres de long, se visite : on peut y entrer, s’y enfermer, ce qui conduit à une perte de repères et permet de recréer des processus égalitaires dans ce moment de découverte.

  • Comment avez vous communiquer lors du lancement de cette expérience ? 

Pour attiser la curiosité autour du lancement du projet, on a travaillé avec la presse (L’Indépendant) qui a joué le jeu avec de faux articles pendant 4 mois : une photo a été prise dans le marais, où l’on apercevait une sorte de créature, comme un monstre du Loch Ness (il s’agissait en fait du périscope du sous-marais).

Un peu plus tard, une opération nettoyage dans le marais a révélé des objets étonnants… ainsi de suite jusqu’à ce que trois journalistes acceptent de mener l’enquête pour enfin dévoiler le sous-marais.

  • Comment travaillez-vous l’introduction et la question de la suspension de l’incrédulité ?

Certains restent perplexes (comment un engin de 23 mètres de long peut naviguer dans les 90 cm de profondeur du marais ?), la plupart rentrent pleinement dans l’histoire via ce sas que constitue le sous-marais.

Après la traversée de cette scénographie, on revient à un principe d’exposition plus classique.

  • Parlons du concept de parc d’attractions qui a été imaginé pour le Pays de Saint-Omer.

D’abord, je considère qu’un office de tourisme est un metteur en scène de territoire qui donne du lien et du liant à l’ensemble des atouts qui caractérisent son territoire.

J’ai imaginé ce concept de parc d’attractions, il y a plusieurs années, que j’avais présenté aux élus qui ont totalement adhéré. Pour autant à l’époque nous n’étions pas prêts, tant en termes de ressources humaines que d’axes de communication, et le concept a vécu “sur le papier” pendant à peu près 4 ans.

Au terme de cette période, on s’est aperçu qu’il fallait pleinement l’assumer, et on a commencé à penser notre Office de Tourisme en mode parc d’attractions. On a repris les éléments de langage, par exemple sur nos visuels nous avons positionné nos personae en avant, nous avons joué à fond la carte de l’émotion, ici l’émerveillement, et nous avons thématisé le découpage de notre territoire. 7 secteurs, 7 mondes, 7 royaumes, organisés sur 13 siècles.

A chaque monde correspond une thématique (la nature, le sport…) : C’est ainsi que naquit “Omerveilleux”, un parc d’attraction inversé.

Carte du parc d’attractions grandeur nature – Crédit Tourisme en Pays de Saint-Omer
  • Quid du visiteur, notamment dans ses recherches sur le web ?

En fait, il a deux “portes” : une entrée traditionnelle pour celui qui cherche une fonction classique de l’Office de Tourisme et dont on doit s’assurer qu’il la trouvera, et une entrée parc d’attractions.

C’est la raison pour laquelle on a fait le choix du maintien de deux sites web :

. le site “classique” de destination

. et le site du parc d’attractions qui porte le storytelling

Cela se traduit naturellement dans l’organisation des services de la structure.

  • Comment le récit de territoire se traduit-il concrètement ?

Le récit irrigue le territoire : on positionne des écrans dynamiques dans les hôtels, on réalise des podcasts qui racontent ses histoires, on installe petit à petit des dispositifs scénographiques.

Aussi et surtout, c’est le pass qui porte le message du parc d’attractions. Un pass, tout le monde sait ce que c’est : les élus, les socio-professionnels, les visiteurs.

Les prestataires qui sont inclus dans le pass Omerveilleux disposent d’un kit de communication ainsi que d’une signalétique dédiée, et on leur transmet les éléments de langage, ce qui est indispensable pour ne pas perdre le fil du storytelling.

Dans l’accompagnement de l’Office de Tourisme, on peut également déployer le récit dans leurs offres, quand ils en sont demandeurs. Nous mettons à disposition notre équipe pour l’écriture et la mise en forme graphique de la communication touristique de nos partenaires qui intègrent alors le parc d’attractions.

Et puis l’indicateur chiffré devient celui de la vente de pass, ce qui permet factuellement de donner de l’économie à l’imaginaire.

  • Le mot de la fin ?

Je crois que l’imaginaire est universel, c’est une qualité qui est propre à tout le monde, c’est ce qui nous unit.

Il suffit de fermer les yeux, on a tous grandi en écoutant des histoires, s’il y a une chose qu’on a en commun, quel que soit notre âge, notre culture, notre religion, c’est l’imaginaire.

Aujourd’hui le récit, en termes de production, dépasse le cadre de l’Office de Tourisme. Julien Duquenne relit des romans de personnes qui écrivent sur le territoire et un scénario de série télévisée est proposé pour une plateforme américaine. L’Office de Tourisme a été appelé pour valider le scénario, du point de vue de son expertise en écriture et de sa connaissance du territoire, ainsi que pour l’aide à la préparation du tournage.

www.tourisme-saintomer.com/

Webinaire CLIC Akken sur les “nouvelles narrations dans le tourisme et la culture”

SOURCE: “Introduction, ou comment les récits nous habitent”, Laurence Giuliani / Editions Territorial

PHOTO: 

Date de première publication : 05/12/2024

Akken et Saint-Omer sont membres du CLIC

rnci 24 replay

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