Mathieu Maire du Poset, Directeur général adjoint de la plateforme de financement collaboratif Ulule explique sa stratégie dans le secteur du patrimoine et revient sur les succès de ses coopérations avec le musée d’Orsay, la Cité de l’Architecture et la Fondation VMF.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis le Directeur général adjoint d’Ulule, et je m’occupe notamment de la communication et de piloter l’équipe qui accompagne les porteurs de projet sur la plateforme. Je suis journaliste de formation et travaille sur le web depuis l’an 2000, essentiellement sur des sujets liés au numérique, au participatif/communautaire, à l’éditorial, que ce soit en presse, politique, musique…
Ulule se présente comme le premier site de financement participatif européen avec déjà 6 083 projets financés avec succès. Quelle est la part de la France dans l’origine des projets et l’origine des financements ?
Aujourd’hui la France reste notre principale base d’attache, cela représente 70% des projets et des financements. Nous sommes disponibles en 6 langues (anglais, allemand, portugais, espagnol, italien, français) et allons bientôt ouvrir le néerlandais. Ce qui signifie à chaque fois un environnement 100% traduit, notamment pour les transactions bancaires, et un accompagnement des porteurs de projets dans leur langue.
On dit les français particulièrement adeptes du financement participatif. Est-ce exact ? Si oui, comment l’expliquez-vous ?
La notoriété du crowdfunding en France est plus importante que chez nos voisins allemands, espagnols ou italien par exemple. Le fait d’avoir plusieurs plateformes d’importance en concurrence à permis d’accélérer le développement du marché, à la fois au niveau notoriété du financement participatif, que sur le nombre de projets lancés sur ces plateformes, et donc le nombre d’utilisateurs. Cela a permis aussi de se structurer, au sein de l’association “financement participatif France” et donc de voir le sujet du crowdfunding pris en compte par le gouvernement français, accélérant encore sa visibilité.
Sur les 6 000 projets financés, combien étaient dans le secteur des musées et du patrimoine ?
Il y a 136 projets listés dans notre rubrique patrimoine (en cours ou finis), dont déjà 105 financés. Nous n’avons pas de rubrique “musée” à proprement parlé, je n’ai donc pas de statistiques exactes, mais cela représente très peu de projets.
Pourquoi une si faible proportion et pourquoi si peu de collectes (le Clic France en a recensé 29 entre le 1er janvier 2013 et le 15 mai 2014) alors que nous sommes le pays des musées et des châteaux ?
Avant tout car le crowdfunding est jeune, Ulule a à peine 4 ans par exemple, et la notoriété de ce mode de financement est encore faible. Et comme le crowdfunding s’est beaucoup développé dans un premier temps sur des projets culturels (films, musique, spectacle vivant…) beaucoup d’autres domaines ne se sentaient pas forcément concernés directement.
Mais les choses bougent, et les champs de l’entrepreunariat d’un côté, et du patrimoine / musée de l’autre, sont en fortes croissance. Les uns et les autres se rendent compte que ce mode de financement peut aussi répondre à une partie de leur besoin. Pour les musées et les châteaux en particulier, il y a déjà de nombreux types de financement qui existent. Et le mécénat, d’entreprises ou auprès de riches particuliers, est déjà très installé. Mais ces structures commencent à se rendre compte aujourd’hui que se tourner vers le grand public est aussi un levier de financement pertinent et puissant.
Vous venez de lancer pour la première fois deux opérations avec des musées : Orsay et la Cité de l’Architecture qui ont respectivement atteint 80% et 52% de leur objectif de collecte en quelques jours. A-t-il été difficile de convaincre les institutions de choisir ce mode de financement complémentaire ? Comment expliquez-vous un tel succès ?
Ces 2 institutions nous ont approché, la volonté de départ est donc la leur, et c’est d’ailleurs un point clé important sur le succès rencontré par ces acteurs sur Ulule : l’envie. Ensuite, il y a évidemment eu des discussions, des réticences parfois, des interrogations souvent et des besoins de “comprendre” la réalité de la mécanique du crowdfunding. Mais tout cela s’est toujours déroulé en bon intelligence.
Ces institutions ont envie d’innover, de tester de nouvelles choses et d’apprendre de notre savoir-faire. A l’inverse, nous avons aussi besoin chez Ulule de bien comprendre leurs enjeux, leurs problématiques pour nous fondre au plus proche de leurs besoins. “Réussir la bonne collecte pour le bon projet” est l’une des maximes que l’on aime répéter chez Ulule, et dans le cas de ces deux musées cela a été au cœur de notre travail avec eux, pour que nous soyons eux et nous pleinement partenaires pour réussir au mieux ces deux collectes.
Note du Clic France: au 12 octobre 2014, à 18.00, le projet “Courbet” du musée d’Orsay était financé à hauteur de 87% (26 243 euros sur 30 000 euros) et le projet “restaurons la merveille” de la Cité de l’architecture atteignait 63% (9 580 euros sur 15 000 euros).
Teaser vidéo de l’appel à don pour “l’atelier du peintre” de Courbet:
Participez à la restauration de L’Atelier du… par musee-orsay
Au premier semestre 2014, vous aviez largement atteint vos objectifs avec la Fondation VMF et plus de 80 000 euros collectés mais en juin vous n’avez pas atteint l’objectif dans l’appel à financement de la cité de la tapisserie. Comment expliquez-vous de tels contrastes ? Etes-vous capable de définir des facteurs de succès et d’échecs en matière de financement participatif patrimonial ?
Un échec peut avoir de très multiples facteurs : le projet lui-même, la préparation, la non-adhésion de la communauté du porteur de projet, le manque de clarté sur le projet, la communication, etc. Pour nous, il y a deux choses essentielles pour réussir : l’envie et la préparation. Il est important avant de lancer un projet en crowdfunding d’être convaincu. Si c’est une initiative portée uniquement par quelques uns au sein d’une grande institution, qu’il y a trop de résistances en interne, cela peut rapidement faire capoter le projet. Et un projet mal anticipé, mal préparé peut connaître la même fin malheureuse.
Le crowdfunding n’est pas une machine à miracle, il ne suffit pas de mettre un projet en ligne, il y a un peu de boulot et de savoir-faire à mettre en place. Et le rôle d’Ulule est d’aider les porteurs de projet, de les conseiller, mais ils doivent bien comprendre qu’ils sont maître de leur projet et que la réussite passe par eux. Mais nos conseils portent, 66% des projets réussissent sur Ulule, ailleurs la moyenne est plus proche de 50%.
De nouvelles plateformes de financement participatif entrent sur le marché spécifique du patrimoine et de la culture. Est-ce le signe d’un nouvel eldorado ou un mythe qui s’effondrera rapidement ?
Il y a toujours un fort appel d’air lorsqu’un nouveau marché s’ouvre, et donc de nombreuses sociétés se créent, et c’est intéressant, cela crée du dynamisme. Ensuite, le marché se resserre toujours à un moment et le nombre d’acteurs diminue. Une plateforme comme Ulule vit de la commission qu’elle prend sur les projets réussis (8% TTC, qui comprend notamment 3% de frais transactionnels). Et la moyenne de financement des projets est de 4 000 euros, toutes plateformes confondues. Nous ne gagnons donc que de petites sommes, sur un grand nombre de projets. C’est donc un métier de volume, où il faut avoir beaucoup de projets et beaucoup d’utilisateurs pour faire vivre une équipe. Et donc cela plaide à nos yeux pour des sites généralistes.
Les porteurs de projets vont là où ils pensent que leur projet se financera le mieux, et donc là où il y a du volume. Nous avons 5 fois plus de projets cinéma en cours que la principale plateforme spécialisée en cinéma. Et plus nous en avons, mieux ils se financent, sur cette rubrique le taux de succès dépasse les 70%.
Et il y a aussi l’enjeu purement web et technique, trop souvent oublié. Nous sommes avant tout un outil web, qui se doit de progresser constamment pour coller aux usages du web et pour que tout soit le plus simple et efficace possible pour les porteurs de projets et les soutiens. Et cette course technique, c’est de l’humain, des développeurs à forte valeur ajoutée, et donc chers. Et plus le temps passe, et plus cet enjeux va être fort et va faire parti du choix d’une plateforme plutôt que d’une autre. Et être au niveau, dans un marché qui est à minima européen, voir mondial, cela va demander une assise importante.
Dans le baromètre du financement participatif patrimonial établi en juin 2014 par le Clic France sur la période 2013/2014, Ulule occupe la seconde position après MyMajorCompany et devant KissKiss. Souhaitez-vous maintenir voire développer cette part de marché ? le patrimoine est-il un axe prioritaire pour Ulule ? Comment comptez-vous développer cette activité ?
Oui le patrimoine va continuer à se développer et à accélérer sur Ulule. Ensuite tout dépend de ce que l’on met dans cette rubrique patrimoine. Il y a de nombreux projets, qui ne sont pas portés par des instituions importantes, et qui vivent sur Ulule : restaurer une église, le puit d’un village qui a une histoire symbolique et particulière, la maison de Jean Moulin, etc Et qui n’ont pas forcément été pris en compte dans ce baromètre. (NDLR: une nouvelle version plus exhaustive du baromètre est en cours de finalisation). Hors, la réelle explosion des projets de patrimoine à venir, c’est celle là. Il y aura évidemment de nombreux autres musées et institutions qui vont venir se lancer sur Ulule, mais le crowdfunding c’est avant tout une longue traine de petits et moyens projets.
Dans ce même baromètre, le montant moyen du don a atteint 88 euros sur 29 collectes. Est-ce un chiffre qui peut encore augmenter ?
J’espère qu’il va baisser plutôt ! Le montant moyen du soutien sur Ulule est de 50 euros normalement, il est plus haut en patrimoine, notamment quand il y a une émission de reçus fiscaux, et car le public touché est parfois plus âgé et avec plus de moyens. Mais la réalité d’une campagne de crowdfunding, ce n’est pas seulement le montant, sur lequel tout le monde a les yeux rivés, mais c’est surtout la foule, le nombre de personne.
Collecter 20 000 euros auprès de 200 personnes à 100 euros de moyenne ou auprès de 400 personnes avec une moyenne à 50€, ce n’est pas la même campagne, pas les mêmes conséquences, la même communication et la même visibilité.
Le crowdfunding doit être populaire, le but d’une collecte est de toucher un maximum de personnes, de donner un maximum de diffusion et de visibilité à un projet. Ces soutiens vont accompagner le projet jusqu’au bout, ils vont devenir des ambassadeurs, et c’est un levier formidable. Et plus il y a de monde sur une collecte, plus le montant moyen donné baisse car on élargit son public.
Le Musée d’Orsay a déjà dépassé les 300 soutiens, là est la première vraie réussite : le projet plaît, il y a du monde, les gens adhèrent. Quand on voit passer sur des plateformes des collectes avec des soutiens moyens à 500 euros, on sait qu’il y a en réalité échec, l’adhésion de la foule n’a pas eu lieu !
Vous lancez de nouveaux projets avec la Fondation VMF. Est-ce une démarche que vous souhaitez développer avec cette fondation ou avec d’autres institutions du même genre ?
Nous sommes très heureux de la confiance que nous accorde la Fondation VMF qui revient cette année en lançant en effet 4 nouveaux projets. Je ne veux pas parler en leur nom, mais le bilan de notre premier travail ensemble a été positif, et se lancer de nouveau ensemble va nous permettre on l’espère d’aller encore plus loin cette année, ce qui signifie amener encore plus de monde sur les projets lancés.
De plus en plus de porteurs deviennent récurrents sur Ulule. Une ONG comme le WWF lance par exemple son 5ème projet en 2 ans. Le record est d’une dizaine de collectes portées par le même porteur de projet.
La récurrence permet de créer sa propre communauté au sein d’Ulule, de la développer, d’habituer ses donateurs traditionnels à ce type de collecte. Et d’apprendre le crowdfunding, ses écueils, ses bienfaits, ses règles, et donc de faire mieux d’une fois sur l’autre. Et nous espérons bien sûr continuer à travailler au mieux avec la fondation VMF, comme avec la Cité de l’Architecture, le Musée d’Orsay, et tout ceux qui auront envie qu’on les aides à réussir ce passage au financement participatif.
Avez-vous déjà de nouveaux projets patrimoniaux à annoncer ?
Désolé, pas de scoop à vous annoncer, mais promis on pensera à vous la prochaine fois ! De nombreux acteurs sont en phase d’approche, de réflexions. Une initiative intéressante, dont on parle moins pour l’instant, la rénovation des tableaux en céramique de la gare de Tours. http://fr.ulule.com/gare-tours/
Avez-vous un rêve ? un lieu patrimonial que vous souhaiteriez particulièrement accompagner ?
Sur un plan très personnel, j’ai déjà un rêve réalisé : je trouve que la forteresse d’Oppède-le-vieux dans le Luberon est l’un des plus beaux lieu de France, et le hasard a fait que c’est l’un des projets lancé par VMF cette année. Et pour le reste, surtout envie de me faire surprendre une nouvelle fois, c’est l’un des plaisirs de notre métier, la richesse des projets que l’on reçoit.
Propos recueillis par mail le 10 octobre 2014
Date de première publication: 13/10/2014
Rendez-vous le mardi 21 octobre pour la prochaine interview hebdomadaire sur le site du Clic France.
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