La journée Culture & Numérique 2022 organisée le 26 avril 2022 par Wikimedia France, en partenariat avec le CLIC France, a été l’occasion de présenter le rapport commandé par la Fondation sur “L’open content dans les institutions culturelles en France”. Cette étude réalisée par l’Agence Phare dresse un état des lieux des pratiques numériques et d’ouverture de contenus des institutions culturelles mais formule également des préconisations à l’attention du ministère de la culture et des institutions culturelles. Voici une présentation synthétique des résultats de l’étude.
Retrouvez la documentation et les vidéos relatives à la journée sur les pages dédiées du site web de Wikimedia France.
La réalisation de ce travail écrit par les 3 auteurs, Emmanuel Rivat, Martin Audran et Marion Serot, n’aurait pas été possible sans la constitution et l’implication soutenue d’un groupe de travail sur l’Open Content qui a apporté son expertise et ses conseils pointus tout au long de la durée de l’étude.
Ce comité était composé de 6 experts :
. Pauline Berni : Responsable des médias sociaux aux Archives nationales
. Xavier Cailleau : Chargé de mission partenariats et GLAM à Wikimédia France
. Martine Denoyelle : Conservatrice du patrimoine et chargée de mission à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA).
. Pierre-Yves Lochon : Fondateur du Club Innovation et Culture (CLIC)
. Manuel Moreau : Médiateur culturel au Musée de Bretagne
. et Manon Six : Conservatrice du patrimoine au Musée de Bretagne.
- Définitions
Un enjeu central : clarifier l’emploi du terme Open Content
. Un contexte juridique complexe à appréhender
. Au niveau international : on parle davantage d’Open Data et d’Open Access
. Open Content = mise en ligne avec des licences CC0 ; CC-BY ; Etalab.
Deux critères tournés vers les utilisatrices et utilisateurs
. La qualité des images
. L’information et la mise en capacité des usagers à réutiliser ses images pour tout usage (y compris commercial).
- Contexte de l’étude
L’OPEN CONTENT A L’INTERNATIONAL : une tendance de fond ?
Un développement continu du mouvement OpenGLAM à l’international
Des exemples emblématiques (Rijksmuseum, Metropolitan Museum de New York, etc.)
L’OPEN CONTENT EN FRANCE : des pratiques émergentes mais peu étudiées
Un contexte juridique a priori favorable à l’Open Data, qui de l’Open Content ?
Environ 60 institutions en France utilisent des licences ouvertes (type CC-BY ou licence ouverte Etalab), cf. Douglas McCarthy and Dr. Andrea Wallace (2018)
Mais les usages et les enjeux rencontrés par les institutions culturelles sont peu connus.
- Objectifs de l’étude
1.PRODUIRE DE LA CONNAISSANCE UTILE, à travers trois objectifs opérationnels :
. Dresser un panorama des initiatives et des solutions existantes
. Analyser les étapes et conditions qui favorisent l’engagement des institutions dans des démarches Open Content
. Documenter les apports et controverses des démarches Open Content
2.NOURRIR LA REFLEXION DES ACTEURS CULTURELS, sur trois niveaux :
. Soutenir les pratiques des professionnels et des directions
. Inspirer les politiques publiques culturelles
. Permettre aux acteurs internationaux de mieux comprendre le contexte français.
- Méthodologie
Un groupe de travail avec six professionnels de la culture experts de l’open content
Pour le cadrage du sujet
Pour stabiliser et enrichir la construction des outils de l’enquête (guide d’entretien, questionnaire)
Pour l’interprétation des résultats
Une enquête qualitative auprès de 19 experts et professionnels
Des institutions diversifiées : 2 services d’archives, 2 bibliothèques, 8 musées
Collectivités locales : trois représentants ou professionnels
Trois experts internationaux
Une enquête quantitative auprès de 145 institutions culturelles françaises
- Principaux résultats
- L’utilisation de licences libres : des pratiques émergentes
La numérisation et les médias sociaux : des pratiques largement diffusées
Des mises en lignes d’images fréquentes pour toutes les institutions…
Mais des licences libres (type CC-BY ou Etalab) encore peu utilisées
Des fortes variations sur les politiques d’ouverture de contenus selon les institutions culturelles
Un « retard français » pour les musées ?
- Un engagement progressif de certaines institutions vers l’Open Content
Des motivations centrées sur les valeurs de service public, avec des variations selon le type d’institution et le niveau hiérarchique
Des enjeux économiques (recettes, etc.) peu contraignants pour la plupart des institutions engagées
Le rôle des politiques publiques : un facteur incitatif limité
Des politiques numériques culturelles dispersées et très tournées vers la communication
Une influence notable des Métropoles
Le rôle du public : une incitation mineure, sauf quand celui-ci est perçu par l’institution comme « créatif ».
- Les défis de l’Open Content : initiatives et bonnes pratiques
- 1er défi : la conception de la démarche Open Content propre à l’organisation
S’appuyer sur des initiatives qui fonctionnent pour produire un cahier des charges
Mobiliser des exemples pour convaincre les tutelles et les services.
- 2ème défi : la définition et la mise en œuvre du projet technique
Articuler 3 stratégies possibles de mises en ligne de contenus : libérer uniquement les contenus du domaine public, s’appuyer sur l’actualité de l’établissement, s’inspirer des demandes du public
Choisir des licences adaptées pour les reproductions des collections : un travail juridique de longue haleine
Faciliter le versement d’images sur une pluralité de sites internet et plateformes : concevoir un schéma de versement multi-plateformes.
- 3ème défi : affiner les modalités de partage et de mise à disposition des images
L’enjeu de la qualité des fichiers mis à disposition : il dépend des publics des l’institutions et des usages attendus
L’aboutissement de la démarche : proposer des fonctionnalités adaptées aux usages des internautes.
- Cheminer vers l’Open Content : un parcours sous contrainte
Les professionnels socialisés à l’Open Content : un rôle essentiel mais contraint
Un nombre de professionnels « actifs » très modeste
Des postes variés, des fiches de postes inexistantes, peu valorisées dans les organigrammes
Une collaboration entre services parfois difficiles à construire
Le manque de personnel formé sur le sujet de l’Open Content : un défi institutionnel systémique.
- Les obstacles structurels de l’entrée dans des démarches Open Content
La forte persistance de représentations négatives
« L’Open Content c’est un truc de geek »
Des inquiétudes sur la désaffection des publics avec le développement de la numérisation des collections
La peur de la réutilisation abusive d’images, qui demeure cependant rares.
La commercialisation des contenus : débat technique ou frein structurel ?
La mise à disposition libre et gratuite des reproductions et à la vente des images des collections n’impacterait pas négativement les recettes pour la plupart des grandes et moyennes institutions, n’empêchent pas la marchandisation des œuvres par les institutions elles-mêmes, voir diminuerait les coûts administratifs de contrôle
Les agences de photographies : un blocage structurel pour les musées.
« Nous avons balayé tous les scénarios possibles et imaginables sur les arguments financiers. On analysait toutes les ventes des images sur les différentes années pour voir ce que ça rapportait. (…) Il a fallu convaincre notre direction du bienfondé de la libération de ces images qui potentiellement était commercialisable, et donc, (…) il a fallu vraiment lutter pour expliquer ce que l’open pouvait apporter. » (Intervention d’un chef de service d’un musée, journée Wikimédia Culture & numérique, 16 avril 2021)
- Les multiples apports des démarches Open Content
Un appui aux pratiques des professionnel∙les dans les institutions
Une simplification de la gestion des demandes d’images par le public
Un support pour développer les activités de médiations culturelles et le crowdsourcing
Le soutien à des projets académiques et artistiques
Des bilans incomplets, et un impact sur les usages et des usages des publics difficile à évaluer.
« Cela conduit à une extrême simplification du travail, le travail est beaucoup plus agréable avec les utilisateurs. (…) [Et] cela nous a permis de faire tout un tas de projets sans que cette question-là [des droits de réutilisation] viennent freiner sa mise en place. Il n’y a plus de questions à se poser. » (Entretien avec une cheffe de service dans une bibliothèque)
- Principaux enseignements
Des questions
Comment attirer plus d’audience ?
Comment attirer de nouveaux publics ?
Comment diffuser les œuvres non pas seulement pour mais avec les publics ?
Un blocage stratégique
Une difficultés des tutelles et des institutions à construire une pensée stratégique numérique de long-terme au-delà d’une logique purement évènementielle
2 freins majeurs
La perception que la diffusion libre et ouverte des images et représentations des œuvres va diminuer la part des recettes des institutions.
La perception des citoyens comme étant passifs et une menace pour l’intégrité des œuvres vs. la perception des citoyens créatifs.
3 résultats
La numérisation des images a un coût mais l’ouverture des images affecte peu les finances des institutions culturelles
Une licence libre ne permet pas un mauvais usage et les usages abusifs demeurent rares (19%).
Au-delà des bilans, il existe un déficit de mise en récit des usages des images au-delà du régime de l’anecdote.
- Trois niveaux de préconisations
Qui font directement écho au travail de l’INHA et notamment au rapport “Droit des images, histoire de l’art et société. Rapport sur les régimes de diffusion des images patrimoniales et leur impact sur la recherche, l’enseignement et la mise en valeur des collections publiques”, de Martine Denoyelle, Katie Durand, Johanna Daniel et Elli Doulkaridou-Ramantani. Paris, 2018.
1.Préconisations adressées au ministère de la Culture
Axe 1 : Mettre en place une stratégie nationale de soutien à la promotion de l’Open Content pour inciter les institutions culturelles à ouvrir autant que possible les images d’œuvres patrimoniales
Préconisation 1
Mettre en œuvre une grande consultation nationale du numérique qui donne à comprendre l’articulation des enjeux de numérisation, d’Open Data et d’Open Content pour inciter les institutions culturelles à ouvrir autant que possible les images d’œuvres patrimoniales.
Préconisation 2
Mettre en place d’un fond destiné à financer la numérisation et le versement d’images d’œuvres libres de diffusion, en s’appuyant sur les propositions du grand public et en y intégrant des projets patrimoniaux locaux.
Préconisation 3
Lancer en partenariat avec l’Education Nationale un programme scolaire « un élève, une œuvre » dans le cadre de l’Education Artistique et Culturelle, afin de sensibiliser tous les publics à la possibilité de télécharger des images sur les sites de certaines institutions nationales ou internationales
Axe 2 : Accompagner les musées et les institutions culturelles dans la mise en place d’une politique numérique intégrant une politique de diffusion ouverte des images
Préconisation 4
Coopérer avec les Ecoles sous contrat pour intégrer des modules Open Content dans la formation initiale de certaines professions en lien avec le déploiement de l’Open Content (archivistes, bibliothécaires, des conservateurs de musées, documentalistes, etc.).
Préconisation 5
Lancer puis essaimer un appel à projet « numérisation, Open Data et Open Content » pour faire émerger de nouvelles structures innovantes à destination des collectivités/métropoles pour favoriser le développement au local, coordination de plusieurs musées, et favoriser l’échange entre collectivités.
Préconisation 6
Dans ce cadre de travail, accompagner notamment la Réunion des Musées Nationaux – Grand Palais (RMN-GP) dans l’élaboration d’un nouveau modèle économique et clarifier la question du droit d’auteur appliqué aux photographies d’œuvres des collections.
2.Préconisations adressées aux directions des institutions culturelles
Axe 1 : Définir une politique de diffusion des images en adéquation avec les valeurs de l’institution et ses publics
Préconisation 7
Ne pas appliquer un droit d’auteur à des œuvres ou des reproductions d’œuvre appartenant au domaine public.
Préconisation 8
Elaborer d’abord une étude sur les publics numériques de l’institution, ses usages réels des fonds d’image ou empêchés, avant d’élaborer un benchmark des solutions techniques.
Préconisation 9
Concevoir une politique de versement et de diffusion des images en fonction de l’histoire de l’institution, de la nature des collections et des fonds photographiques, qui s’appuie sur plusieurs principes d’actions stratégiques.
Préconisation 10
Créer des interfaces numériques accueillantes pour les internautes, qui expliquent clairement les modalités de réutilisation des images et qui donnent envie de s’impliquer.
Axe 2 : Favoriser une prise en main et une gestion simplifiée de l’Open Content pour le personnel
Préconisation 10
Structurer et professionnaliser les démarches et initiatives de promotion de l’Open Content sous trois angles opérationnels (lignes budgétaires, fiches de postes & organigrammes).
Préconisation 11
Intégrer dans la formation continue des modèles de sensibilisation à l’Open Content pour l’ensemble des métiers concernés (y compris les services juridiques et communication).
Préconisation 12
Assurer la documentation et la transmission des pratiques professionnelles afin de contrer les effets du turn over au sein des institutions
3.Préconisations adressées aux professionnels des institutions culturelles
Préconisation 13 : Organiser des conférences d’usagers pour démontrer des exemples de circulation d’image dans les communautés, afin de dépasser le cadre de l’anecdote et d’illustrer les plus-values concrètes de ses réutilisations
Préconisation 14 : Développer des partenariats avec des associations défendant les valeurs du numérique libre et ouvert afin de former et socialiser les personnels aux enjeux de l’Open Content, ses défis techniques et institutionnels.
Lien vers la version PDF du rapport
SOURCES: SOURCES : Agence Phare pour Wikimédia France, Martin Audran, CC BY 4.0
PHOTOS: Sinapses conseils
PHOTO du carousel: présentation de la synthèse du rapport par Xavier Cailleau et Emmanuel Rivat lors de la journée Culture & Numérique 2022
Date de première publication: 28/04/2022
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