Le 13 octobre 2025, à l’occasion de la Journée des peuples autochtones, 17 artistes autochtones ont lancé une « exposition non autorisée » dans l’aile américaine du Metropolitan Museum of Art. Utilisant la réalité augmentée (RA), ils ont réinterprété 25 peintures du XIXe siècle de la galerie – paysages génériques et imaginaires, portraits de colons aisés et scènes historiques grandioses – en y superposant numériquement des symboles et figures de la culture indigène. L’experience est disponible gratuitement sur smartphone et tablette jusqu’au 31 décembre 2025.
L’intervention numérique non autorisée, ENCODED : Changer l’histoire, changer l’avenir a été co-organisée par la cinéaste et commissaire d’exposition Tracy Renée Rector et un co-commissaire autochtone anonyme (qui a également financé le projet), en collaboration avec le laboratoire de médias et de design à but non lucratif Amplifier.
« Amplifier souhaitait ouvrir la voie à un dialogue et à une discussion plus approfondis sur les raisons pour lesquelles les peuples autochtones n’ont pas été davantage intégrés aux collections de ces grandes institutions pendant si longtemps », a expliqué à artnet.com Tracy Renée Rector, commissaire de l’exposition.
« Les institutions ont la responsabilité de prendre soin de la communauté qu’elles représentent ou dont elles ont emprunté la culture », a déclaré au journal The Art Newspaper Nicholas Galanin, artiste Tlingit et Unangax̂ qui a contribué à plusieurs œuvres d’ ENCODED.
Le scepticisme de NcholasGalanin s’appuie sur des données : une étude de ProPublica montre que seulement 15 % des 139 œuvres autochtones de la collection Diker du Met possèdent une provenance solide et complète. La loi sur la protection et le rapatriement des sépultures amérindiennes (Native American Grave Protection and Repatriation Act) qua été mise à jour en 2023 exige pourtant le respect du savoir et de l’autorité des tribus autochtones en ce qui concerne la restitution des restes humains, des objets funéraires, des objets sacrés et des objets du patrimoine culturel.

- Des réinterpretations ludiques et parfois incisives
Durant le parcours, aile américaine et extérieur du Met, le visiteur active les 25 réinterpretations créées avec la réalité augmentée en présentant son téléphone ou sa tablette devant les œuvres originales.
Des représentants d’Amplifier sont également présents pour distribuer les guides de l’exposition et proposer des visites guidées.
Chaque artiste a réinterprété des œuvres existantes de l’histoire de l’art américain appartenant à la collection du Met, « apportant ainsi le point de vue autochtone dans des galeries longtemps dominées par la perspective des colons européens et de leurs descendants ».
Les interventions des artistes autochtones sont à la fois ludiques et incisives.
. La première œuvre du parcours est visible à l’extérieur du musée : le trio monumental de super-héros autochtones de Skawennati, inspiré du mythe antique des Trois Sœurs, domine la façade du Met.
. À l’intérieur, avec Midéegaadi de Cannupa Hanska Luger, des artistes autochtones en costumes traditionnels colorés dansent devant des tableaux tels que « Vue des Catskills – Début d’automne » (1836-1837) de Thomas Cole.
« Les œuvres que je présente remettent en question un récit véhiculé par l’art américain, selon lequel le paysage nord-américain était désert », a déclaré Cannupa Hanska Luger dans une vidéo pour Amplifier. « Je souhaitais présenter des œuvres qui mettent en lumière la vie qui peuplait ce paysage avant même que l’Amérique ne devienne l’Amérique. »
. Dansune des œuvres les plus célèbres du Met The Gulf Stream de Winslow Homer, on découvre le marin noir en danger, représenté dans l’œuvre, accompagné d’une figure en noir et blanc dansant sur un chant tlingit tiré d’une vidéo de Nicholas Galanin de 2006, Tsu Héidei Shugaxtutaan I .

. Pour sa contribution, le photographe de Shinnecock, Jeremy Dennis, a transposé la Maison Blanche sur une peinture du Parthénon, illustrant « le même mépris pour les sites sacrés occidentaux que celui manifesté envers les sites amérindiens – comme la défiguration des Black Hills pour créer le mont Rushmore ».
. Dans la monumentale toile « Washington traversant le Delaware » (1851) d’ Emanuel Leutze, l’armée semble désormais engloutie par la végétation, les plantes alourdissant le bateau lors de sa traversée du fleuve. La « nouvelle » œuvre « LANDBACK »a été imaginée l’artiste Flechas.
. Priscilla Dobler Dzul a numériquement enveloppé la sculpture de Thomas Crawford, « Jeune fille mexicaine mourante » (1846-1848), d’une peau de félin funéraire ornée de motifs floraux.
. Mer Young a transposé une célèbre photographie de We’wha – artiste et guide spirituel zuni bispirituel ayant voyagé à Washington en 1886 – sur l’œuvre de Childe Hassam, « Avenue of the Allies, Great Britain » (1918) . Le tableau original représente un déploiement patriotique de drapeaux de nations européennes et latino-américaines le long de la Cinquième Avenue, en soutien à l’engagement des États-Unis dans la Première Guerre mondiale.
« Je voulais m’assurer que les artistes puissent se représenter comme ils le souhaitaient », explique Tracy Renée Rector. « Le fil conducteur était la cosmologie : non seulement répondre aux maîtres américains, mais aussi offrir des occasions de résister et non pas simplement de reformuler, mais de créer de nouveaux récits. »
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- Centenaire de l’aile américaine du Met
L’initiative de « hacking » numérique est lancée au moment où l’aile américaine célèbre son centenaire. Elle vise à poser quelques questions : quelles histoires raconte l’art américain ? Qui décide de ce qui mérite d’être exposé ? Et que se passe-t-il lorsque le musée refuse de faire de la place, et que les artistes s’en emparent ?
Mais ce projet intervient également alors que le Met a entrepris de renforcer le sentiment d’appartenance des artistes et de l’art amérindien au sein de son aile américaine. En 2018, le musée a présenté pour la première fois de l’art autochtone dans son aile américaine, avec l’exposition « Art of Native America : The Charles and Valerie Diker Collection ». En 2020, le musée a recruté Patricia Marroquin Norby comme première conservatrice adjointe pour l’art amérindien. En 2021, il a inauguré une nouvelle exposition de la collection Charles et Valerie Diker, composée de 139 œuvres provenant de plus de 50 tribus. En aout 2025, le musée a ouvert une rétrospective consacrée au peintre expressionniste abstrait ojibwé George Morrison. Et en septembre 2025, Jeffrey Gibson est devenu le premier artiste autochtone à créer des sculptures pour les niches de la façade du musée sur la Cinquième Avenue, avec l’installation de l’œuvre commandée « L’animal que donc je suis ».

- Rétablir l’équilibre
Tracy Renée Rector a ajouté : « en 2019, le Met a utilisé des panneaux explicatifs présentant le point de vue des Amérindiens sur des œuvres d’art. Ces panneaux « Native Perspectives » ont été retirés. J’aimerais que les institutions, et notamment le Met, rétablissent cet équilibre. Comme chacun sait, l’histoire est souvent écrite par les vainqueurs ou les puissants. »
Concernant le caractère « non autorisé du projet », Cleo Barnett, directrice générale d’Amplifier, a précisé : « Le Met n’a émis aucune réponse officielle. Un chercheur de l’aile américaine nous a contactés hier au Met pour nous faire part de son intérêt sincère pour le projet, mais nous n’avons reçu aucune communication officielle de l’institution elle-même. »
Ce n’est pas la première fois qu’un musée de New York fait l’objet d’un « hacking » artstque et numérique.
En 2018, 8 artistes avaient détourné les oeuvres de Pollock présentées dans les salles du MoMA qui lui sont consacrées. Une web app gratuite et la réalité augmentée permettaient aux visiteurs de découvrir des réinterpretations des tableaux du maitre de l’expressionnisme abstrait. (ARTICLE CLIC : 8 artistes Internet ont envahi la salle Pollock du MoMA et offert une expérience de réalité augmentée « sauvage »)
- Jusqu’au 31 décembre 2025
Les interventions numériques de 17 artistes autochtones ont été lancées à l’occasion de la Journée des peuples autochtones, mais seront disponibles jusqu’au 31 décembre 2025.
Bien que le projet soit en préparation depuis quatre ans, il n’a été lancé qu’en juillet, grâce aux fonds d’un donateur autochtone anonyme qui a permis de concrétiser l’idée d’Amplifier. Tracy Renée Rector a eu environ un mois pour constituer la liste des artistes, veillant à ce qu’elle reflète la diversité des artistes autochtones d’Amérique du Nord, ou Île de la Tortue, comme l’appellent certains peuples autochtones.
SOURCES : Amplifier, presse
PHOTOS : Amplifier
PHOTO du carrousel : Priscilla Dobler Dzul, Cosmologies futures : La régénération des mythologies mayas (2023), superposée à Thomas Crawford, Jeune fille mexicaine mourante (1846 ; sculptée en 1848). Photo : Amplifier



















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