Benoît Panozzo (Château Guillaume-le-Conquérant): “Depuis le lancement de la visite sur tablettes, nous sommes passés de 40 000 à 70 000 visiteurs”

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Temps de lecture : 10 min

En avril 2013, le Château Guillaume-le-Conquérant (Falaise, Normandie) a réouvert avec une nouvelle scénographie s’appuyant notamment sur un parcours en réalité augmentée sur tablettes, conçu par Histovery. Trois ans après ce lancement, quel est le bilan de l’application ? Réponses par Benoît Panozzo, médiateur au Château Guillaume-le-Conquérant

Pouvez-vous vous présenter ?

BPanozzoJe m’appelle Benoît PANOZZO, et je suis médiateur culturel au Château Guillaume-le-Conquérant de Falaise, dans le Calvados. Depuis plus de dix ans, j’essaie de rendre accessible au plus grand nombre l’histoire du château de Falaise.

Cette transmission passe par la création de contenus pédagogiques destinés au public scolaire, la création et la conduite de visites guidées adaptées à tous les publics, des néophytes aux experts, ou encore le commissariat d’expositions temporaires, la rédaction d’articles et la participation à la publication d’ouvrages consacrés au château.

De 2011 à 2013,  j’ai contribué comme chef de projet adjoint à la création des nouveaux parcours de visite du château incluant une application de visite en réalité augmentée du château sur tablette tactile.

Pourquoi avoir choisi la réalité augmentée pour visiter le château ?

Nous souhaitions totalement renouveler l’expérience de visite du château. La scénographie précédente était vieillissante et, bien que de qualité, faisaient la part belle aux personnages historiques liés au monument mais donnaient somme toute assez peu de renseignements sur le château en tant que tel.

Nos visiteurs attendaient plus de faits concrets leur permettant de se projeter dans la réalité médiévale du site : quels sont les rôles d’un château fort ? Qui y vivait ? Comment ? Que mangeait-on ? Comment s’y chauffait-on, à quoi ressemblaient les intérieurs à l’époque des ducs de Normandie et rois d’Angleterre, fondateurs et premiers propriétaires du château …Il s’agissait de remettre le château au cœur de la médiation proposée.

château_vue_générale_drone

La réalité augmentée nous a semblé l’outil parfait pour faire revivre les lieux au temps de leur splendeur de façon saisissante.

Pour nous il était hors de question de ne proposer que la visite sur tablette, il nous fallait également une visite scénographique classique qui peut remplacer aisément l’utilisation des tablettes. Ainsi nous avons dans chaque salle des cartels et neuf projections de films autour de personnes historiques. Le dernier film qui a beaucoup de succès retrace la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066. La visite guidée classique est encore très appréciée. Pendant celle-ci le médiateur utilise un iPad pour présenter des images et des vues en réalité augmentée issues de l’application de visite.

Pouvez-vous nous décrire le fonctionnement de l’application ?

L’application est accessible sur tablette tactile remise au visiteur lors de sa visite du château. Les restitutions en réalité augmentée permettent d’explorer différents lieux du château reconstitués à une période donnée.

L’interface propose de nombreux contenus annexes en plus des reconstitutions en réalité augmentée. Ceux-ci apportent des compléments d’information sur le château et permettent de le situer dans un contexte historique plus large. Un mode « + » notamment permet de superposer aux vues virtuelles des informations textuelles donnant des précisions sur les éléments visibles et de justifier les choix de représentation proposés en citant les sources utilisées. Un lexique très complet accompagne l’ensemble. Enfin, l’application propose une « chasse au trésor » qui permet de trouver et de ranger dans un inventaire un objet modélisé dissimulé dans chaque pièce du château ayant fait l’objet d’une reconstitution virtuelle.

Quel est le fonctionnement de la chasse au trésor ?

Lorsque l’objet à trouver a été repéré dans la vue virtuelle, il suffit de le viser avec un repère situé au centre de l’écran puis d’appuyer deux fois rapidement dessus avec l’index. L’objet apparaît alors en plein écran accompagné de son nom et d’un message de félicitations avant de se ranger automatiquement dans l’inventaire, ou « coffre aux trésors » de la tablette.

Quelle est la cible de l’application ?

Les cibles sont multiples. L’application a été développée pour tous les types de public, des familles aux spécialistes. Les contenus qu’elle propose permettent plusieurs niveaux de lecture afin que chacun puisse y trouve son compte. Les non-spécialistes – qui représentent la grande majorité de nos visiteurs, peuvent facilement s’approprier le passé du monument grâce à un outil visuellement très attrayant et ludique qui donne des informations concises et faciles d’accès sur les lieux visités. La richesse des contenus complémentaires permet aux plus curieux, aux amateurs éclairés et aux professionnels – historiens, archéologues ou architectes,  de trouver les réponses aux questions plus spécifiques qu’ils peuvent se poser.

Quelle est l’interactivité proposée à l’utilisateur ? 

Les visiteurs activent les contenus en réalité augmentée en visant avec la caméra de leur tablette des repères installés dans les salles. Aucune manipulation de l’écran n’est nécessaire à ce stade. L’écran de la tablette lit le repère selon le principe des QR codes.

Porte du temps

Les reconstitutions proposées sont de deux natures. D’une part, la proposition de restitution de huit des principales salles du château ouvertes à la visite telles qu’elles auraient pu être à l’origine. D’autre part, dix objets modélisés et qu’il est possible d’activer sur l’écran de la tablette. Six de ces objets sont des machines de guerre qui permettent, par exemple, de tirer au trébuchet, à la bombarde ou de comprendre sous forme de séquence animée le fonctionnement d’une tour d’assaut. La chasse au trésor apporte aussi à l’utilisateur une interactivité supplémentaire qui ravit petits et grands.

L’application accompagne-t-elle toute la visite ou seulement une partie ?

L’application a été développée pour la visite des donjons du château uniquement, seuls bâtiments de l’enceinte parvenus jusqu’à nous en élévation. Les extérieurs proposent un parcours de visite libre et gratuit qui donne une idée des bâtiments et des activités qui se tenaient dans la basse cour du château aujourd’hui totalement vide. Outre desAffût jumelles 3 supports de médiation classiques (panneaux et pupitres explicatifs), la réalité augmentée est aussi présente dans cette partie du château : des jumelles stéréoscopiques installées sur des affûts fixes sont en accès libre pour les promeneurs.

Elles proposent six points de vue modélisés en relief de l’intérieur de l’enceinte telle qu’il pouvait être vers 1180,  date de l’apogée de la dynastie anglo-normande née de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant (1066-1204). Nous voulions faire revivre cette partie du château qui a aujourd’hui disparue alors qu’au Moyen-Âge il s’agissait de la partie la plus animée du château. C’est aussi un appel pour les visiteurs, pour les amener à venir acheter un billet.

L’image proposée par ces jumelles sont des vues modélisées du château. Les images sont diffusés par la vue stéréoscopiques, ce sont des angles de vue fixe.

Point de vue 3 jumelle stéréoscopique aujourd'hui  Point de vue 3 restitution

A gauche: Angle de vue couvert par une paire de jumelles stéréoscopiques aujourd’hui. Au premier plan, le bâtiment d’accueil, bâti sur les vestiges du logis vicomtal. À l’arrière plan, le Grand Donjon.

A droite: le même angle de vue à travers la jumelle ; proposition de restitution en réalité augmentée du logis vicomtal et du Grand Donjon vers 1160-1200

Combien de temps dure une visite en suivant l’application ?

Le temps moyen de visite constaté depuis la mise en place de l’application est d’une heure et demie contre une heure auparavant.  Mais les contenus permettent si on le souhaite de faire durer la visite encore plus longtemps. Les visiteurs les plus intéressés y passent volontiers deux à trois heures et, d’après leurs dires, sans voir le temps passer.

Quel lien est fait entre l’application et les salles du château ?

L’application fait le lien, pour les restitutions des salles, entre l’existant et l’apparence des lieux à l’origine. Elle montre dans le détail les décors intérieurs, le mobilier, les aménagements de confort, les objets de prestige ou ceux du quotidien. On peut aussi se rendre compte qu’un lieu habité de façon continue pendant plusieurs siècles n’est jamais figé architecturalement, qu’il se transforme au fil du temps, au gré des besoins de ses occupants successifs, de l’évolution des styles, des progrès de la fortification… Certaines ouvertures, comme des portes, fenêtres, archères, escaliers,  représentées à la période évoquée n’existent plus aujourd’hui. Ou, au contraire, n’existaient pas encore. On peut ainsi s’amuser à comparer en temps réel l’avant-après.

Les objets à trouver sont en rapport avec la fonction des pièces (feuille de boucher dans la cuisine, globe symbole de royauté dans la salle d’apparat du premier donjon, colombe eucharistique suspendue utilisée à l’époque pour protéger les hosties des rongeurs dans la chapelle seigneuriale…)

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Proposez-vous l’application uniquement sur des tablettes louées ou est-elle également téléchargeable ?

Les tablettes sont mises à disposition des visiteurs sans supplément de prix. Ils acquittent uniquement le droit d’entrée dans les donjons du château. L’application n’est pas téléchargeable et il n’est pas prévu de la proposer au téléchargement pour le moment. Les visiteurs ne peuvent pas l’utiliser sur leurs smartphones ou tablettes personnelles. Ils doivent utiliser les appareils que nous leur prêtons.

Je tiens à attirer l’attention sur les coques des tablettes qui nous ont été conseillées par Histovery et qui sont d’excellente qualité: un jeune utilisateur a fait faire une chute de 30m à l’un de nos appareils avec réception sur un rocher ; la tablette fonctionne encore parfaitement. Plus globalement, trois ans après leur mise en service, nous n’avons eu aucune panne parmi nos appareils.

Sur quelles sources historiques/archéologiques vous êtes-vous appuyés pour cette reconstitution ?

L’objectif était de proposer une vision plausible, validée scientifiquement, de ce que pouvait être la réalité des lieux à un moment donné de leur existence. Il ne s’agit pas d’une restitution garantie des intérieurs au détail prêt, impossible à réaliser en l’absence de sources suffisantes. Pour combler les silences de l’Histoire, nous avons travaillé par recoupement et comparaison avec d’autres sites mieux documentés.

Nous avons aussi compulsé des centaines d’enluminures, qui, bien qu’elles soient des représentations convenues, offrent, lorsqu’elles sont mises en perspective, un gisement d’informations extrêmement riche sur le mobilier, le vêtement, les objets du quotidien, l’architecture…  Les collections muséales ont aussi été d’un grand secours.  Pour les sources propres au château, nous avons exploité les chroniques médiévales, les quittances de travaux, abondantes pour les XIVe et XVe siècles, et les résultats des nombreuses opérations archéologiques menées au château ces vingt dernières années.

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Quel a été le budget de l’application ? Comment a-t-elle été financée ?

Le coût total a été d’un peu moins de 200 000 € H.T, achat du parc de tablettes compris (parc de 150 iPads mini, de 150 coques de protection et fabrication d’un meuble pour le stockage et la recharge des tablettes). Nous n’avons eu aucun renouvellement nécessaire.

Le projet a été financé à 51% par la Ville de Falaise, les 49% restants l’ont été par des fonds européens dans le cadre d’un programme Interreg transmanche. Ce projet, baptisé Norman connections  associe plusieurs villes anglaises et bas-normandes conservant un patrimoine médiéval lié à la période anglo-normande (Falaise, Caen, Bayeux, Hastings, Colchester, Rochester et Norwich). Il a permis le développement d’équipements touristiques et scientifiques pour chaque partenaire et leur mise en réseau par la création d’outils communs (site internet dédié, entre autres).

Quelle entreprise est à l’origine de l’application ?

L’entreprise Normandy Productions (aujourd’hui Histovery). Elle conçoit des outils de mise en valeur des sites culturels mettant en œuvre les nouvelles technologies digitales. C’est elle qui a remporté l’appel d’offre lancé par la Ville de Falaise pour le marché de renouvellement de la scénographie de visite du château.

Avez-vous bénéficié de partenariats pour ce projet ? 

En dehors du financement européen, nous avons réuni un comité scientifique d’experts bénévoles pour orienter et valider les choix de représentation proposés par les développeurs. Les membres de ce comité (un archéologue, un professeur émérite de latin médiéval spécialisé dans les sources normandes et anglaises en langue latine, le conservateur du musée de Normandie et du château de Caen, et deux responsables du patrimoine, l’un du conseil régional, l’autre du conseil départemental, qui ont apporté leur expertise en histoire de l’art).

Le comité a siégé au rythme d’une à deux journées de travail par mois durant plus d’un an. Il a aussi ponctuellement interrogé d’autres spécialistes pour obtenir leur avis sur des champs relevant de compétences plus spécifiques (un historien de l’art spécialisé dans les peintures murales médiévales et l’archéologue responsable du suivi archéologique de la restauration des remparts du château entre 2007 et 2015).

Visiteur_tablette

Avez-vous des premiers retours de la part de vos visiteurs ?

Les retours de visiteurs sont très positifs. La plupart d’entre eux sont enthousiasmé par ce qu’ils découvrent. Les gens sont par exemple très surpris par les couleurs qui paraient les appartements princiers. Nous bénéficions d’un excellent bouche à oreille et les gens ayant apprécié leur expérience de visite avec la tablette nous recommandent. Beaucoup reviennent plusieurs fois en amenant avec eux des amis ou de la famille.

Nous avons pris l’habitude de dire entre membres de l’équipe qu’avant, les parents devaient traîner leurs adolescents pour les faire entrer au château, et que maintenant, ils doivent les en faire sortir de force.

En 2013, nous étions arrivés à un plafond de 40 à 45 000 visiteurs par an, un chiffre stable mais que nous n’arrivions pas à dépasser.

Depuis le lancement des tablettes, le chiffre a augmenté de façon spectaculaire, en 2015 nous étions à 70 000 visiteurs.

Cette fréquentation est très positive et est très liée à l’application selon les retours de visiteurs, sur Tripadvisor notamment.

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En combien de langues est proposée l’application ?

Pour l’instant nous ne proposons que deux langues : le français et l’anglais. Il n’est pas prévu d’en intégrer de nouvelles pour l’instant.

Montage_petit donjon et tablette

Avez-vous prévu de faire évoluer l’application ?

Rien n’est prévu pour le moment. Mais la modularité offerte par les tablettes nous permet d’envisager l’intégration de contenus temporaires ou complémentaires au besoin. Nous serons j’en suis sûr faire bon usage de cette possibilité à l’avenir.

Nous aimerions pouvoir intégrer de nouveaux contenus sur la guerre de Cent ans, une période extrêmement documentée pour Falaise et son château.

Le chateau de Falaise sur la toile:

. site web

. page facebook

. page Tripadvisor.

Interview réalisée par mail le 10/03/2016

Sources: Château de Falaise

Photos: Ville de Falaise

Date de première publication: 17/03/2016

Histovery est membre associé du CLIC France

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