OPINION / Images des musées nationaux : une réformette pour ce grand chantier du Musée du 21e siècle ?

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Si l’on en croit le communiqué de presse du Syndicat National des Musées et Domaines CGT, le Musée du Louvre et la RMN-GP ont fait le choix du quasi statu quo en ouvrant de manière très limitée les collections.

Par Pierre-Yves Beaudouin, président de l’association Wikimédia France.

Revenons sur ce qui s’est passé ces deux dernières années. Dans le cadre de la politique gouvernementale d’ouverture des données publiques, une circulaire datée du 8 juin 2018 a été adressée aux responsables de musées afin de « formuler des propositions, respectueuses du droit d’auteur, en ce qui concerne l’accès libre aux images des grands musées en lien avec la RMN-GP ».

Il s’agit d’un des huit grands chantiers du Président de la République, qui s’inscrivent dans la continuité de la mission « Musées du XXIe siècle ». Un groupe de travail a été mis en place pour réfléchir à cette question. Deux scénarios y sont proposés :

  • Scénario 1 baptisé Open data que nous rebaptisons OpenGLAM : ouverture en haute définition y compris pour des réutilisations commerciales,
  • Scénario 2 baptisé Fair use que nous rebaptisons quasi statu quo : ouverture en haute définition pour les usages scientifiques et éducatifs, avec contrôle préalable des usages.

Ce groupe de travail a fait circuler un questionnaire pour nourrir les réflexions de la réunion de décembre 2018. Cela n’ayant visiblement pas suffit, un rapport a été confié à Accenture Strategy. La version de travail intitulée Développement de l’accès libre aux images des musées nationaux : état des lieux et analyse d’impact des scénarios envisagés a été présentée en juin 2019.

“A petit crowd to see the dame” Wikimedia Commons

Étude d’Accenture

L’étude d’Accenture se présente en une série de 35 diapositives. Wikimédia France n’a pas été auditionné. Cela aurait été l’occasion de ne pas diffuser une phrase particulièrement ambiguë ou totalement erronnée : « Risque de captation de la valeur par des acteurs commerciaux puissants comme les GAFA ou Wikipedia ».

Wikipédia, 4e site le plus consulté en France et dans le monde, est géré par des bénévoles et hébergé par Wikimedia Foundation, organisation à but non lucratif. Le modèle économique ne repose ni sur la vente de données personnelles, ni sur la publicité, et l’intégralité du contenu est consultable gratuitement. L’essentiel des ressources provient de dons. Plus de sept millions de donateurs permettent de collecter 113 millions de dollars (Fundraising report 2018-2019).

Si Wikipédia n’est pas qualifiée d’acteur commercial, parler de captation de valeur est maladroit alors que le mouvement Wikimedia s’attache à diffuser les connaissances et aider les établissements culturels à valoriser leurs collections. Au contraire Wikimedia est une alternative éthique aux GAFA dont tout acteur culturel devrait se réjouir de son existence. Et la crainte d’une cannibalisation du site institutionnel par Wikipédia doit être écartée car les usages sont différents.

François de Sales — Wikipédia

Prenons un exemple : le portrait de Saint François de Sales, évêque de Genève (ci-dessus) provenant de la Base Regards du CMN est l’image la plus vue en janvier 2020 du lot de 1811 images libres importées sur Wikimedia Commons. 

Cette reproduction illustre l’article consacré aux Essais de Montaigne. Cela ne détourne en aucune manière les visiteurs du Château de Bussy-Rabutin, lieu où le tableau est entreposé.

Revenons à l’étude proprement dite. Il est rappelé qu’environ 712 300 images d’œuvres dans le domaine public de la photothèque de la RMN-GP sont concernées.

3 scénarios sont étudiés au regard de leurs impacts économiques et financiers, sur les métiers et l’organisation, sur la numérisation des collections, sur la valorisation des collections et sur les publics et enfin en terme de rayonnement de l’institution.

Historique des rapports

Cette étude n’est pas dénuée d’intérêt mais elle vient s’ajouter à une longue liste de rapports :

Bientôt une intelligence artificielle devrait avoir suffisamment de rapports pour apprendre à en rédiger un ! Espérons que nous avons enfin fait le tour du sujet en nous demandant si c’était pertinent, si c’était économiquement intéressant, si c’était légal, si les licences libres étaient légales, et comment le faire.

Évolution hors des musées sous statut de service à compétence nationale

Alors que la situation est totalement bloquée au niveau des musées nationaux dépendant de la RMN-GP, d’autres acteurs rencontrent visiblement moins de difficultés, notamment en matière de droit d’auteur, à ouvrir leurs collections :

  • En novembre 2019, le Centre des monuments nationaux a ouvert 14 000 images de sa Base Regards qui comporte en tout 82 000 fichiers,
  • Le 7 janvier 2020, Paris Musées a mis en œuvre la politique d’ouverture des collections de la Mairie de Paris en publiant 150 000 images sous licence libre,
  • Le 20 janvier, la Ville de Marseille vote l’ouverture de ses collections patrimoniales.

Musée du Louvre : une réforme pour ne quasiment rien changer

Fermons la parenthèse et revenons au groupe de travail qui a produit un rapport qui débouche sur une nouvelle politique du Musée du Louvre. Que va faire le plus grand musée français ? Quelle sera cette nouvelle politique ambitieuse fruit de deux ans de travaux ?

Le communiqué de presse du Syndicat National des Musées et Domaines CGT nous dévoile les projets du président. Il est prévu de signer une nouvelle convention de diffusion des fonds photographiques des œuvres du Louvre avec la RMN-GP. L’article 8 intitulé ouverture des données publiques précise que l’ouverture sera restreinte aux usages scientifiques dans le monde et aux catalogues d’expositions en Europe tirés à moins de 1500 exemplaires. Seuil particulièrement bas. En consultant les rapports d’activité du Louvre, nous nous apercevons que le plus petit tirage d’un catalogue d’exposition est de 2000 exemplaires en 2017 et 2018.

Rapport d’activité du musée du Louvre 2018, page 224.

Hasard du calendrier qui permet de remettre en perspective cette politique ambitieuse du Louvre et de la RMN : le Smithsonian vient d’annoncer fin février l’ouverture de 2,8 millions d’images. Ce vaste complexe de dix-neuf musées et neuf centres de recherche principalement situés à Washington, D.C., géré par le gouvernement fédéral américain, permet aux gens du monde entier de télécharger, partager et transformer ce contenu en libre accès à n’importe quelle fin, gratuitement, sans autorisation préalable du Smithsonian.

Il nous parait inimaginable que ce grand chantier s’inscrivant dans la continuité de la mission « Musées du XXIe siècle » débouche uniquement sur la gratuité pour les chercheurs et délaisse totalement les nouveaux usages et les projets Wikimedia. Wikimédia France continuera à prôner une ouverture à l’ensemble de la société des collections d’œuvres d’art publiques, ainsi qu’à aider les institutions françaises qui ouvrent leurs collections, à aider les wikimédiens à photographier les œuvres exposées dans les musées ou à aider à numériser des fonds photographiques qui nous sont confiés.

Communiqué de la CGT

Pour conclure, revenons au communiqué de presse. Le Syndicat National des Musées et Domaines CGT a raison de mettre le doigt sur le devenir des personnes chargées de la commercialisation à l’agence photo de la RMN-GP, le reste de l’agence photo devant être conservé. Selon nous, cela représenterait quelques dizaines de personnes. Depuis plus de dix ans, Wikimédia France alerte sur un nécessaire changement de pratique afin de mieux valoriser le patrimoine français sur Internet. Pendant tout ce temps, la nécessaire préservation des emplois concernés aurait pu être traitée par les personnes en responsabilité. Mais le statu quo, masqué par la mise en place de groupes de travail, de commissions et de rapports, a été privilégié.

Cet article a été publié la première fois le 16 juin 2020 sur le site wikimedia.fr. D’autres articles du même auteur peuvent être trouvés sur le même site.

PHOTOS: Wikimedia Commons

Photo carousel: Wikimédien en face de Ulysse remet Chryséis à son père, tableau de Claude Gelée (Spanish Castle Magic, CC0)

Date de première publication: 17/06/2020

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