[OPINION] Julie Bertrand, Paris Musées « Beaucoup de paramètres peuvent permettre la réduction de l’impact écologique des expositions »

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Julie Bertrand est Directrice des expositions et des publications à Paris Musées depuis 4 ans. Pendant le SITEM 2025, dans le cadre de la table-ronde CLIC et Société des Musées du Québec sur le thème « Musées et écologie : regards croisés du Québec et de la France », elle présentera le projet de plateforme d’éco-conception d’expositions porté par Paris Musées. A cette occasion, Julie Bertrand a accepté de répondre à plusieurs questions du CLIC. Elle explique comment Paris Musées aborde la question écologique et présente certaines des initiatives environnementales proposées par l’institution.

[EVENT CLIC] Conférence Sitem CLIC SMQ « Musées et transition écologique : regards croisés entre la France et le Québec ». Mardi 25 mars 12:15 – 13:15. La conférence « Musées et transition écologique : regards croisés entre la France et le Québec » co-organisée par le Club Innovation & Culture CLIC  et la Société des Musées du Québec SMQ  propose un  regard croisé entre la France et le Québec sur la manière dont les musées  répondent aux enjeux  de la transition écologique. Les représentants d’institutions muséales (Boréalis Trois-Rivières, Musée McCord Stewart Montréal, Musées de Strasbourg, Paris Musées) présenteront des initiatives écologiques concrètes.  Les  2 organisations représentatives (ICOM  France et SMQ)  partageront leurs  projets collaboratifs respectifs si nécessaires  pour favoriser le passage à  l’action. Avec les interventions de : Julie Bertrand, Directrice des expositions et des publications Paris Musées; Stéphane Chagnon, Directeur Général Société des musées du Québec; Emilie Girard, Directrice des Musées de Strasbourg et Présidente d’ICOM France; Caroline Truchon, Chargée de projets principale, Expositions Coresponsable, Développement durable Musée McCord Stewart Montréal et Romain Nombret, Vice-président de la  Société des musées du Québec / Directeur du  musée Boréalis à  Trois-Rivières. Modération : Pierre-Yves Lochon, Sinapses Conseils – CLIC, Fondateur.  www.club-innovation-culture.fr/event/conference-sitem-clic-smq-ecologie-25-03-2025/

  • La transition écologique fait elle l’objet d’un programme stratégique et d’une organisation dédiée à Paris Musées ? 

Oui, la transition fait en effet l’objet d’une organisation dédiée avec une responsable
RSO/développement durable et des référents/es pour chaque site/musée et direction.
Cela a également fait l’objet d’un plan d’action développé à l’échelle du réseau Paris Musées (14 sites + réserves + ateliers + directions du siège).

3 axes ressortent de ce plan d’action 2023 – 2026 :
Axe 1 : Réduire l’impact environnemental de l’ensemble de nos activités : diminution des émissions de Gaz à effet de serre (GES), préservation des ressources naturelles et protection de la biodiversité, recyclage et revalorisation de nos déchets,
Axe 2 : Profiter de la force du réseau pour développer la collaboration, la mutualisation, le partage d’expérience et l’optimisation des pratiques,
Axe 3 : Être un acteur du changement en s’engageant et en participant à la transformation des pratiques et des modèles existants : en formant, informant, sensibilisant et mobilisant l’ensemble des agents de Paris Musées ainsi que le public, les partenaires économiques, les homologues et l’ensemble des parties prenantes.

  • Comment peut-on réduire l’impact écologique des expositions ? Sur quel paramètre peut-on jouer plus facilement ?

Il y a beaucoup de paramètres qui peuvent permettre la réduction de l’impact écologique des expositions : c’est ainsi le cas d’un travail d’anticipation sur les programmations, de la durée des expositions, des questions de transport (provenances, caisses et convoyeurs), des critères des marchés publics pour le choix des prestataires, de la gestion de la fin de vie, des outils numériques, de la sélection des œuvres en prenant en compte leur bilan carbone et en privilégiant les œuvres de nos propres collections, des conditions de prêt, des conditions d’éclairage, des coproductions avec la France ou l’Europe et des éléments scénographiques ou des scénographies mutualisés et réutilisés.

A Paris Musées, les scénographies sont pensées adaptables et réutilisables. Les capacités de stockage étant limitées, différentes solutions sont utilisées en dehors de la force du réseau de Paris Musées, à travers notamment des plateformes de réemploi comme la réserve des arts ou Plinth. La réutilisation des scénographies est, je pense, le paramètre sur lequel on peut facilement travailler et obtenir rapidement une réduction de notre impact. Paris Musées y travaille depuis sa création en 2013 et c’est le cas de beaucoup d’autres institutions.

  • Le principal impact n’est-il pas le déplacement des visiteurs ? 

Oui en effet, mais cela ne veut pas dire que les autres impacts ne sont pas forts et importants. Il est nécessaire de réduire partout où cela est possible, pas uniquement sur le plus lourd.

Paris Musées étudie cet impact pour notamment rendre plus vertueux les déplacements de ses visiteurs (à noter que les visiteurs des sites de Paris Musées sont franciliens pour la majorité).

  • La transition écologique passe-t-elle nécessairement par la réduction du nombre d’expositions, ou par la réduction des œuvres exposées notamment les prêts ou d’autres solutions sont possibles ?

C’est un des leviers évidemment mais pas le seul. Un ralentissement de la programmation est à étudier pour réussir cette transition écologique mais cela n’est pas évident. La billetterie des expositions tient une part importante dans les ressources des institutions. L’allongement de la durée des expositions est également une piste très intéressante pour réussir à réduire le nombre d’expositions. Mais les œuvres ne peuvent pas toujours être prêtées sur une longue durée. Et augmenter les rotations d’œuvres, est-ce toujours plus vertueux ?

Les institutions travaillent aussi à proposer des expositions autour de la valorisation des œuvres de leurs propres collections.

On peut aussi évidemment essayer en accord avec le commissariat de réduire le nombre de prêt. Mais cela ne doit pas augmenter le nombre d’écrans ou de supports de signalétique pour compenser. Enfin, La question reste surtout celle des transports. Les prêts internationaux sont les plus impactants mais s’ils sont essentiels au propos de l’exposition ? Pas évident de ne pas les envisager. Les outils de calcul d’impact carbone vont permettre aux institutions de mieux comprendre les impacts et ainsi petit à petit de programmer autrement.

  • Pouvez-vous nous donner quelques mesures ou initiatives concrètes prises en faveur de la transition écologique par Paris Musées ou certains des musées du réseau ?

La réalisation du bilan des émissions de gaz à effet de serre a été la première action collective et transversale entreprise dans le cadre du plan d’action de Paris Musées. Cette démarche a permis d’identifier les activités ayant l’empreinte carbone la plus importante et ainsi définir une trajectoire de baisse. Une analyse plus approfondie par activité reste cependant nécessaire ; la politique d’écoconception appliquée à tous les projets d’expositions temporaires peut apporter une première réponse à cet enjeu. Le réemploi, la mutualisation, la construction de dispositifs scénographiques durables et le déploiement progressif d’outils de pilotage notamment un calculateur d’impact carbone, permettent de juger de la pertinence des actions mises en place et d’identifier des solutions. Le recours au calcul d’impact carbone a permis par exemple de démontrer que les co-productions d’expositions en Europe favorisaient l’optimisation des déplacements des œuvres et des convoyeurs contribuant ainsi à la diminution de l’empreinte carbone du projet. Dans une logique de réutilisation et d’économie circulaire, Paris Musées a également baissé son impact grâce au don de mobiliers scénographiques vers des institutions muséales : musée de Meudon, musée de Provins, musée Stéphane Mallarmé…

Une des actions clé en 2024 a également été la certification de six musées (le Musée de la Libération, le Musée d’Art Moderne, le Musée Bourdelle, le Petit Palais, le Musée Zadkine et le Musée de la Vie Romantique) par la Ville de Paris, en tant que « Acteurs engagés pour la sortie du plastique à usage unique » dans la filière « Tourisme et itinérance dans la ville ». Dans le domaine de l’efficacité énergétique des bâtiments, plusieurs travaux ont été réalisés pour optimiser la consommation d’énergie dans les musées. Des interventions ont eu lieu au musée Carnavalet, au Petit Palais et au musée de la Libération, incluant des mesures comme l’isolation des combles, l’installation de films antisolaires, la mise en place de systèmes de ventilation optimisée et la rénovation des menuiseries. Ces actions ont pour but de réduire les besoins de chauffage et de climatisation, et de maximiser l’efficacité énergétique des bâtiments.

Enfin, Paris Musée a contribué à l’accroissement de la couverture végétalisée des toitures parisiennes grâce à l’aménagement de la terrasse du Musée de la Libération. Cette couverture végétale est indispensable au contrôle et maintien de l’humidité nécessaire à l’isolation de la toiture terrasse et au jeu d’inertie thermique générateur d’économie énergétique, en particulier en été par le maintien de températures fraîches induisant un moindre recours à la climatisation.

La couverture végétalisée installée sur la terrasse permet également de multiplier les lieux d’accueil et de nourriture pour la faune (insectes, notamment pollinisateurs, oiseaux, etc.) et favorise l’installation des micro-organismes du sol et des espèces animales associées.

La Maison de Balzac et le Musée Zadkine ont quant à eux bénéficié de l’expertise des équipes de la Maison Paris Nature qui a dressé un inventaire de la biodiversité et établi des préconisations pour l’aménagement et l’entretien de leurs jardins.

  • Travaillez-vous en partenariat avec d’autres musées pour promouvoir la transition écologique ou déployer des actions ou des outils ?

Oui, Lauréat en mai 2024 du dispositif « Soutenir les alternatives vertes 2 » déployé par France 2030 et opéré pour le compte de l’Etat par la Banque des Territoires, le projet collectif porté par Paris Musées, en partenariat avec seize institutions * et la société d’ingénierie culturelle Atemia et l’agence d’éco-conception Karbone Prod, vise à développer une plateforme en ligne permettant au plus grand nombre d’acteurs du secteur muséal de disposer d’un outil commun de mesure d’empreinte environnementale et d’accompagnement pour une conception plus responsable des
expositions.

Cette plateforme à horizon 2027, sera composée de 3 modules qui pourront s’utiliser seuls ou se combiner pour s’adapter aux structures culturelles :
– Une démarche d’éco-production des expositions, à travers un questionnaire d’auto-
évaluation guidant les équipes à chaque étape,
– Le calcul d’impact carbone d’un projet d’exposition, grâce à une mesure des gaz à effets de serre engendrés par les différents composants du projet (le transport, la scénographie, etc.),
– Un diagnostic environnemental selon la méthodologie d’analyse du cycle de vie (ACV –
méthode normalisée qui permet d’évaluer les effets de produits sur l’environnement).

*Les institutions et musées partenaires : Musée d’art contemporain de Saint-Etienne, RMN – Grand Palais, Palais des Beaux-Arts de Lille, Musée d’Arts de Nantes, Musée des Beaux-Arts de Rennes, Musées des Beaux-Arts de Tours, Palais de Tokyo, Centre Pompidou, Musées de la Métropole Rouen Normandie, Museum d’histoire naturelle, Musée du quai Branly – Jacques-Chirac, Musées d’Orsay et de l’Orangerie – Valéry Giscard d’Estaing, Musée des arts décoratifs, Musée Ingres de Montauban, Musée des Beaux-arts de Nancy, Fondation Cartier.

  • Avez-vous entrepris de faire le bilan carbone de Paris Musées, de ses expositions, ou au moins de certaines expositions ? 

Nous sommes en phase de restitution interne du premier bilan des émissions de gaz à effet de serre de l’année 2022 pour l’ensemble du réseau Paris Musées, qui regroupe 12 musées, 2 sites patrimoniaux, 5 sites de réserves, des ateliers et des concessions de restauration et de librairie.

L’échelle de ce BEGES est très étendue. Il nous permet d’obtenir une vision globale sur l’empreinte carbone estimée de Paris Musées et de nous fixer des objectifs de réduction, qui seront évalués tous les trois ans. Nous réaliserons ainsi en 2026 le BEGES (bilan des émissions de gaz à effet de serre) de l’année 2025.

La mise en œuvre du BEGES a été la première action collective et transversale que nous avons entreprise dans le cadre de notre plan d’action. D’un point de vue structurel, cette première étape s’est avérée satisfaisante : nous avons pu faire de la pédagogie et impliquer les personnels à l’occasion de la collecte de données. Le BEGES ne permet pas de piloter finement les activités : la photo qu’il donne à l’instant t, avec de grandes masses d’impact, nous aide à affiner notre stratégie globale de baisse des impacts, mais la mesure des efforts domaine par domaine n’est possible qu’au terme d’une étude précise de chaque activité. La direction des expositions et des publications a lancé cette étude et a pour le moment réalisé le calcul d’impact de 5 expositions par an depuis 2022.

  • Les expositions itinérantes sont-elles compatibles avec les enjeux climatiques ? 

Oui si elles permettent de mutualiser et d’optimiser certains déplacements d’œuvres. Les enjeux climatiques prennent en compte aussi la dimension sociale de la transition. L’itinérance permet une meilleure irrigation des actions culturelles et donc une démocratie des savoirs qu’il ne faut pas supprimer.

  • Paris Musées envisage-t-elle d’organiser des expositions pour sensibiliser aux enjeux climatiques ? 

Oui c’est déjà le cas, avec par ex l’exposition consacrée au peintre Théodore Rousseau (1812-1867) au Petit Palais, qui a fait de la nature son motif principal, son monde et son refuge. Devenu chef de file de la colonie d’artistes qui fréquente le village de Barbizon et la forêt de Fontainebleau, il arpente la forêt solitairement, durant de longues heures, exécutant des esquisses sur le motif avant de réaliser ses œuvres définitives dans son atelier. Son amour de la nature se transforme bientôt en combat et, à ce titre, il peut être considéré comme un véritable proto-écologiste : avec d’autres artistes et écrivains, Rousseau porte un nouveau regard sur la forêt de Fontainebleau, qui aboutira à la protection d’une partie de celle-ci sous le nom des célèbres « réserves artistiques » (1853), une première dans un monde en pleine industrialisation.

  • Quel type de coopération pourrait-on imaginer entre les musées français et d’autres musées francophones ? Avez-vous déjà des discussions ?

Oui nous sommes déjà en discussions avec beaucoup de musées français notamment à travers le projet de plateforme d’écoconception des expositions. On pourrait envisager que cette plateforme soit proposée à d’autres musées francophones.

En tout cas, l’idée est de mutualiser, réemployer, échanger les bonnes pratiques et harmoniser les méthodes de mesure pour parler avec des référentiels communs.

  • Avez-vous un modèle de musée en France et dans le monde particulièrement écologique ?

Il y en a plein, l’important n’est pas d’être le meilleur mais de faire ce que l’on peut…et de
partager/mutualiser/ s’inspirer des pratiques partout où cela peut nous inspirer.

SOURCE : Paris Musées, propos recueillis par CLIC le 17/03/2025

PHOTO du carrousel : Theodore Rousseau La Voix de la Foret ©Musee Petit Palais Paris Musees Gautier Deblonde

Date de première publication : 19/03/2025

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