Le 21 avril 2018, le Radar, espace d’art de Bayeux, a lancé une nouvelle application, AURA (Augmented Reality Artworks), proposant une visite de la ville en réalité augmentée. A travers un parcours dans la ville normande, les visiteurs, munis de leur tablette ou de leur smartphone, pourront découvrir les œuvres de l’artiste Justine Emard, présentes sur six façades de monuments bayeusains emblématiques. Elle répond aux questions du CLIC France.
Justine Emard, dont le travail s’articule autour des différents médiums, est la première artiste invitée pour le projet AURA. (Lire l’article du CLIC France: La ville de Bayeux se visite en réalité augmentée avec l’application mobile AURA et l’artiste Justine Emard)
. Quel est votre parcours et votre formation ?
Je vis et travaille à Paris. Ma pratique est pluridisciplinaire autour de la photographie, la vidéo, l’installation et la réalité augmentée pour explorer le monde des images.
Depuis 2012, j’ai notamment présenté mon travail en Suède, en Norvège, en Chine, au Brésil, en Colombie, au Japon et en Corée du Sud. J’ai également collaboré avec le Pavillon Neuflize OBC et le laboratoire de recherche du Palais de Tokyo à Paris entre 2013 et 2017.
En 2015-2016, j’ai été résidente à la Cité internationale des arts de Paris. En 2017, j’ai également été lauréate de la résidence Hors-les-murs de l’Institut français ainsi que la résidence Tokyo Wonder Site. Récemment mon travail dans « Clouds Forests », lors de la 7ème Biennale internationale de Moscou sur l’invitation de Yuko Hasegawa.
. Comment la réalité augmentée est-elle intervenue dans votre travail ? Quelles possibilités cet outil vous offre-t-il ?
J’ai été invitée à participer à une résidence expérimentale dans un centre de réalité virtuelle de la ville de Clermont-Ferrand, suite à l’obtention de mon diplôme aux Beaux-arts de la ville en 2010. À l’époque, ces technologies numériques étaient dédiées exclusivement à l’industrie, la médecine et les jeux vidéo et n’étaient pas encore étendues aux domaines artistiques. Cette année passée au sein de la résidence m’a donc permis d’acquérir des connaissances en modélisation 3D et en programmation. J’ai ainsi réalisé ma première installation en réalité virtuelle qui proposait un paysage dans lequel l’utilisateur pouvait se déplacer.
J’ai ensuite découvert la réalité augmentée qui m’a fascinée pour ce qu’elle permet d’être un moyen hybride qui intègre des éléments virtuels dans le monde réel.
La réalité augmentée offre la possibilité de faire naître l’invisible, de donner la vie à des objets qui apparaissent sous nos yeux. C’est l’occasion de jouer sur deux réalités parallèles qui coexistent à travers cet outil .
En 2012 j’ai donc réalisé ma première œuvre utilisant la réalité augmentée, intitulée screen-catcher.
Mon travail s’articule autour de la recherche de nouveaux médiums. J’ai actuellement un projet d’intelligence artificielle. Je m’empare de médiums et techniques qui ne sont pas issues du milieu de l’art et que je m’approprie pour créer une forme artistique.
.Vous avez été en résidence durant un mois au sein du Radar, cette période d’immersion dans la ville a-t-elle alimenté vos recherches pour le projet ?
La résidence s’est déroulée en deux temps, un premier séjour en janvier et un second en mars. Lors de la première partie, j’ai eu une vision très extérieure de la ville puisque l’ensemble des musées était fermé pour la période d’hiver. Cette sensation d’appréhender les lieux en surface, d’approcher le territoire par le paysage permet de ne pas bloquer la perception que l’on s’en fait. Il est fréquent que l’on perçoive un lieu par le lot d’informations touristiques que l’on nous fournit. Paradoxalement ce contenu peut formater l’approche que l’on a d’une ville que l’on dé- couvre. Cela bloque en quelque sorte l’imaginaire.
Or, AURA est un projet lié à l’imagination et à l’apparition. Pour l’occasion j’ai eu envie de travailler sur des histoires parallèles. Alors que certains artistes passent par les croquis, l’écriture ou les actions ; moi, j’ai besoin d’archiver des images provenant de di-verses sources. J’ai donc collecté celles-ci, fait beaucoup de photographies dans différents lieux pour préparer la réalisation des œuvres.
Mes recherches m’ont amenée à m’intéresser à l’apparition des images sur le territoire. Ce rapport singulier entre images, matières et matériaux d’une part, phénomène que l’on retrouve dans la Tapisserie et, la dimension cinématique, cinématographique d’autre part. On a ainsi plusieurs couches de lecture possibles.
Pour autant, ce projet va également être très ancré dans la réalité et s’attacher à l’architecture et aux murs sur lesquels les œuvres vont être intégrées. Je souhaitais en quelque sorte, « faire parler» les murs de la ville et j’ai réalisé des recherches plus précises sur la «mémoire des murs». J’ai découvert de très prêt les graffitis de la Cathédrale qui témoignent d’un acte spontané de création, d’un besoin de représenter une trace du réel, de laisser sa marque dans la pierre.
Tous ces procédés, ces recherches combinées m’ont aidée à la création des œuvres. Celles-ci sont in situ, elles s’imprègnent du contexte. L’environnement est essentiel dans la manière que l’on aura de les appréhender. Toutefois, le statut de l’œuvre est unique et a ceci de singulier qu’il permet de se projeter dans un imaginaire.
.Comment l’atelier – workshop avec les élèves de l’ École municipale des Beaux-arts de Bayeux s’est-t-il déroulé ?
Pour cet atelier, j’ai été invitée à proposer aux adolescents d’intervenir sur l’une des six façades. Très vite, notre choix s’est porté sur un bâtiment situé allée de l’Orangerie. Celui-ci, très en longueur, permet aux neuf groupes une proposition panoramique avec une surface de travail suffisante à l’intégration de leurs projets. Toujours en lien avec mon idée d’histoires parallèles à la ville, j’ai eu envie de proposer un travail autour du labyrinthe. Le labyrinthe fait ici écho au labyrinthe présent dans la salle capitulaire de la Cathédrale ainsi que sur le parvis de la mairie.
Le labyrinthe est intéressant à la fois plastiquement et pour les légendes qu’il inspire. Celui-ci peut être à la fois abstrait ou réaliste. L’idée de pertes de repères est également intéressante chez ces jeunes qui sont eux-mêmes dans une période de recherche. Ce concept du labyrinthe est suffisamment large pour que chacun puisse se l’approprier.
La réalité augmentée peut être complexe à appréhender. J’ai donc fait le choix d’orienter les groupes vers des petits films d’animation. Chacun d’eux pouvait ainsi réaliser une courte boucle.
La réalité augmentée touche particulièrement les plus jeunes, sensibles aux nouvelles technologies. Ce domaine est un bon moyen de s’approprier une façade de leur ville. Pour ce faire, ils ont utilisé le téléphone portable, un outil majeur de leur quotidien. Ce moyen de communication a servi notamment à la prise de son et aux captations vidéo, photos. Si ces jeunes sont habitués à la réalisation plastique de par leur formation à l’ École des Beaux-arts ils n’étaient que peu initiés à la réalisation et au montage de films. AURA fut pour eux l’occasion de déployer à la fois des trouvailles techniques et leur imagination.
Chacun des groupes a eu à cœur de développer des projets singuliers qui seront visibles grâce à des boutons positionnés sur les garages et qui s’activent les uns après les autres pour enclencher les différentes animations. La façade du groupe de jeunes est une collaboration diffé- rente du reste des façades, mais se rattache parfaitement au thème que je vais aborder.
Les oeuvres de Justine Emard sont visibles du 21 avril au 27 mai 2018 au Radar.
Propos recueillis par Le Radar
Date de première publication: 24/04/2018
. La Tapisserie de Bayeux revient à la cathédrale en version numérique et en vidéo mapping
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