Après 3 ans de bataille juridique, le musée allemand Neues a communiqué les données numériques du scan 3D du buste de Nefertiti à l’artiste Cosmo Wenman qui l’a publié en ligne pour une utilisation libre. L’artiste – militant de l’Open Content s’attaque maintenant à d’autres musées, dont le musée Rodin de Paris.
L’histoire du buste de Nefertiti a commencé en Égypte en 1345 av. J.-C. et vient de se terminer -provisoirement- sur un portail de partage de contenus numériques appelé Thingiverse.
Comme Cosmo Wenman, artiste et expert en numérisation 3D, l’a annoncé récemment, le Neues Museum de Berlin lui a envoyé une clé USB contenant des images en couleur du célèbre artefact à l’issue d’une bataille juridique de trois ans. Et Cosmo Wenman a rendu ces scans disponibles gratuitement en ligne le 3 novembre 2019.
Depuis sa découverte, à Amarna, en Égypte, par l’archéologue allemand Ludwig Borchardt en 1912, le buste de Nefertiti a connu une histoire très chaotique.
Ce buste de 3 364 ans, représentant la grande épouse royale du pharaon égyptien de la XVIIIe dynastie Akhénaton, fait partie de la collection du musée Neues depuis 1920.
Selon un article publié en 2012 dans le magazine Time, les autorités égyptiennes ont commencé à demander à l’Allemagne le retour de cette sculpture depuis sa première apparition en Allemagne, et dès qu’elles ont pris conscience de son importance. Le gouvernement d’Adolf Hitler semblait sur le point de retourner le buste dans les années 1930, mais le dictateur a changé d’avis, déclarant qu’il “ne renoncerait jamais à la tête de la reine”. La sculpture a donc passé la Seconde Guerre mondiale dans une mine de sel, et a été récupéré par les Monuments Men des forces alliées en 1945 avant d’être exposée à nouveau à Berlin.
En 2011, le Conseil suprême des antiquités d’Egypte a adressé une nouvelle demande de restitution à la Fondation du patrimoine culturel prussien, qui gère le Neue Museum dans lequel le buste est exposé.
“La position de la fondation sur le retour de Néfertiti reste inchangée”, a déclaré le président de l’institution, Hermann Parzinger, dans un communiqué de 2012. “Elle est et reste l’ambassadrice d’Égypte à Berlin”.
L’histoire récente du buste a porté sur sa numérisation.
Le 13 novembre 2019, Cosmo Wenman écrit sur le site web Reason que “depuis plus de dix ans, les musées du monde entier effectuent des numérisations 3D de haute qualité de sculptures importantes et d’objets anciens. Certaines institutions, telles que la Smithsonian Institution et la National Gallery of Denmark, proposent des programmes innovants qui partagent librement leurs numérisations 3D avec le public, nous permettant de visualiser, de copier, d’adapter et d’expérimenter les œuvres numérisées d’une manière jamais vue auparavant. Mais de nombreuses institutions gardent leurs scans hors de la vue du public. C’est le cas du Neues Museum de Berlin qui a décidé de garder son scan couleur du buste de Néfertiti sous clé.”
En 2016, deux artistes ont révélé le résultat d’un prétendu “hold-up numérique”: le duo berlinois Nora al-Badri et Jan Nikolai Nelles affirmait avoir introduit dans le musée un scanner Kinect modifié afin de créer un modèle numérique à trois dimensions du buste (présenté ci-dessus).
Cosmo Wenman fut l’un des premiers experts à critiquer l’histoire des 2 artistes. Il considérait que la numérisation était de qualité trop élevée et trop semblable à une numérisation commandée par le musée à une entreprise ayant partiellement diffusée ses travaux en ligne en 2008.
“À mon avis, il est hautement improbable que deux scans du buste correspondent aussi étroitement” expliquait Cosmo Wenman en mars 2016. “Il semble encore moins probable que l’analyse d’une réplique corresponde si étroitement. Je crois que le modèle que les artistes ont publié est en fait dérivé de la propre numérisation du Neues Museum”.
Combat pour le libre usage
Après la polémique sur la fausse numérisation pirate, Cosmo Wenman a décidé de lancer une campagne pour acquérir les scans du musée et pouvoir les diffuser librement et gratuitement.
Il expliquait alors: “lorsque les musées refusent de fournir les numérisations, le public reste dans l’obscurité et est ouvert aux données factices ou incertaines”.
L’artiste saisit donc officiellement le musée Neues, en citant les lois allemandes sur la liberté d’information qui s’appliquent aux institutions financées par l’État. Le musée le renvoi à la Fondation du patrimoine culturel prussien qui lui répond que la libre diffusion des copies des données numérisées “menacerait ses intérêts commerciaux”. La Fondation lui a proposé de se rendre au consulat allemand à Los Angeles, où il habite, pour consulter les scans sous surveillance.
Où s’arrête le “libre usage” du scan 3D ?
Le scan officiel fourni par le musée permet de découvrir tous les détails qui ont rendu le buste si emblématique, y compris le cou si délicat, la coiffe peinte, les pommettes saillantes et les yeux tranchant de Néfertiti.
Mais ce scan comprend également un détail supplémentaire, à savoir une notice concernant les conditions d’utilisation Copyright Creative Commons. Gravée numériquement sur le “pied” de la sculpture, la licence définit trois conditions d’utilisation du scan: le modèle doit être attribué au musée, il ne peut pas être utilisé à des fins commerciales et tout ce qui en est fait doit pouvoir être réutilisé par d’autres.
“La légalité de la revendication de certains droits d’auteur par le Neues Museum reste incertaine” estime Cosmo Wenman.
Sur le site Slate, Michael Weinberg, directeur exécutif du Centre Engelberg sur l’innovation et le droit de la NYU School of Law, suggère que la notification “a été ajoutée pour décourager l’utilisation généralisée du scan, même sans base juridique”.
Michael Weinberg explique: “Ces restrictions d’usage ne sont valables que si l’institution qui les impose a effectivement un droit d’auteur exécutoire. … Mais Il n’y a aucune raison de penser qu’un scan exact d’un objet physique du domaine public, datant de plus de 1 000 ans, est protégé par le droit d’auteur aux États-Unis”.
An important statement by @creativecommons following up on the story of the Nefertiti bust: https://t.co/eD5llPCGda public domain works should remain in the public domain & using CC licenses to enclose the commons is sad but also: ineffective https://t.co/8I7pvkxCI2
— OpenGLAM (@OpenGLAM) November 20, 2019
Le 20 novembre 2019, sur son site web, la Fondation Creative Commons explique également: “la numérisation en soi ne crée pas de droits d’auteur ou de droits similaires, car dans la grande majorité des pays, il n’y aucune originalité dans une reproduction numérique fidèle d’une œuvre créative. La plupart de ces objets sont dans le domaine public depuis longtemps, et beaucoup d’entre eux n’ont jamais fait l’objet d’un droit d’auteur. Le titulaire du droit d’auteur est la seule personne pouvant appliquer une licence CC à une œuvre.
Si l’œuvre est dans le domaine public, aucune licence de droit d’auteur ne doit être appliquée et, dans le cas des licences CC, conçues pour fonctionner uniquement s’il existe un droit d’auteur, l’application d’une licence CC est inefficace.
Dans ces cas, le domaine public ou la licence CC0 doivent être appliqués pour confirmer le statut de domaine public mondial.
… nous comprenons les préoccupations de revenus et de profit exprimées par certaines institutions du patrimoine culturel lors de l’évaluation des politiques de libre accès. Cependant, revendiquer le droit d’auteur sur les œuvres du domaine public et les stratégies de revenus efficaces sont des problématiques différentes qui n’appartiennent pas au même espace. De toute évidence, de plus en plus d’expériences montrent que les coûts associés à la gestion de la licence des images sont supérieurs aux avantages potentiels ou aux sources de revenus de la vente des images.
Les licences Creative Commons ne sont pas des outils qui devraient être utilisés pour limiter les possibilités de découverte, de partage et de réutilisation du domaine public. Les institutions de patrimoine culturel devraient adopter des politiques de libre accès dans le cadre de leurs missions institutionnelles consistant à accorder au public un accès à la culture et à l’information”.
L’artiste s’intéresse maintenant à Rodin
Après sa victoire contre le musée Allemand, Cosmo Wenman ne compte pas arrêter son combat.
Dans une article du site artnet.com paru le 17 novembre 2019, l’artiste explique “Grâce aux numérisations 3D, le patrimoine culturel mondial peut être numérisé et transformé de nouvelles manières imprévisibles. Une fois libérées, ces données seront copiées, transformées et se répercuteront dans les arts pendant des milliers d’années. Je joue un rôle pour que cela se produise”.
En attendant, Cosmo Wenman annonce ses prochaines batailles. L’artiste explique que “le musée de Berlin n’est pas le seul à accumuler les résultats de ses projets de haute technologie. Le Louvre conserve des scans de la Victoire de Samothrace et de la Vénus de Milo. La Galleria dell’Accademia de Florence a travaillé sur le David de Michelangelo, et le Met de New York a numérisé de nombreux chefs-d’œuvre”.
Et Cosmo Wenman annonce que sa prochaine cible sera le musée Rodin de Paris.
Le 6 juin 2019, la Commission d’Accès aux Documents Administratifs a rendu son avis (non impératif), après saisie par Cosmo Wenman et son avocat le 8 février 2019. Et comme l’explique un article du site nextinpact.com, il ressemble à une victoire pour Cosmo Wenman: “les numérisations d’œuvres dont le musée Rodin assure la conservation, à des fins à la fois d’étude et d’exploitation commerciale, constituent des documents administratifs au sens des dispositions précitées, dès lors qu’elles ont été élaborées et sont détenues dans le cadre de la mission de service public qui est confiée à cet établissement. Elles sont donc, en principe, communicables à toute personne qui en fait la demande. … le musée sera chargé de faire respecter le droit moral du sculpteur et devra veiller au respect de l’œuvre lors de la réutilisation des documents sollicités. … le musée Rodin pourrait soumettre la réutilisation des numérisations tridimensionnelles à une licence et l’assortir d’un tarif. … le produit total de cette redevance ne devra pas dépasser le montant total des coûts de collecte, de production, de mise à disposition ou de diffusion, de conservation de leurs informations et d’acquisition des droits de propriété intellectuelle”. (avis complet de la CADA)
L’artiste envisage maintenant de poursuivre le musée en justice.
“D’ici la fin de l’année, je traduirai le musée Rodin devant les tribunaux à Paris pour faire appliquer cette opinion”, a déclaré Cosmo Wenman. “Ils se battent, mais je m’attends à gagner.”
Une victoire pourrait avoir des conséquences plus larges pour les numérisations 3D d’œuvres de toutes les collections nationales françaises.
SOURCES: twitter.com/CosmoWenman, thingiverse.com, smithsonianmag.com, news.artnet.com, creativecommons.org, nextinpact.com,
PHOTOS: Neues Museum, twitter.com/CosmoWenman
Date de première publication: 26/11/2019
Le Musée Rodin est membre du CLIC France
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