C.Villeneuve de Janti (Musée des Beaux-Arts de Nancy): “L’idéal serait de personnaliser les contenus jusqu’à les individualiser”

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Temps de lecture : 11 min

A l’occasion de la journée d’étude sur “l’innovation et le numérique dans les musées des Beaux-Art” organisé le 11 octobre 2016 par le CLIC France et Paris musées, Charles Villeneuve de Janti, directeur du Musée des Beaux-Arts de Nancy et de la Maison de Jean Prouvé a répondu aux questions du CLIC France sur sa stratégie numérique. Il aborde pour nous les thématiques de la valorisation de la collection par la numérisation, la transition de l’audioguide à l’application et l’implication des visiteurs dans la vie du musée.

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Mardi 11 octobre 2016 (journée): Journée d’étude co-organisée par le CLIC France et Paris Musées consacrée à “l’innovation et au numérique dans les musées des Beaux-Arts”.

Cette journée aura lieu de 9h30 à 17h, dans l’auditorium du Petit Palais (Paris).

La journée se composera de quatre table-rondes durant lesquelles les représentants des musées des Beaux-Arts viendront partager les résultats d’expériences passées ou présenter de nouveaux projets innovants. Les quatre table-rondes porteront sur les thématiques suivantes :

  • “Ouvert, partagé, hors les murs… votre musée en 2025” (table-ronde discussion “prospective” entre des directeurs des Musées des Beaux-Arts)
  • Collection : de la numérisation à la diffusion (mise en ligne des collections sur le site internet, open content, exportation des contenus sur plateforme wikipédia ou google, etc)
  • Application, cartel numérique, immersion … quelles nouvelles expériences de visite ? 
  • Partenariats, crowdfunding, mutualisation … quels financements pour le numérique et l’innovation ?

Pouvez-vous présenter votre parcours ?

DSCN1640Ancien élève de l’Ecole du Louvre, à la sortie de l’Institut national du Patrimoine, en 2007, j’ai rejoint l’équipe de conservation du Petit Palais, comme conservateur des peintures anciennes, puis très vite comme conservateur du cabinet d’arts graphiques modernes en fusionnant les fonds de dessins et d’estampes séparés jusqu’alors.

J’ai pu participer à de nombreux commissariats d’exposition en France (Kurosawa, Henry Cros, William Blake, Petit Palais / Flash Back,  Souvenirs d’Italie, Félix Ziem …) et à l’étranger et aussi collaborer à un projet d’exposition numérique (Révélations) mécèné par Samsung, présenté au Petit Palais en 2010, puis à Séoul récemment. J’ai créé la première page Facebook de ce musée en 2008, remplacé depuis par une page « officielle ».

En 2013, je me suis vu confié la direction du Musée des Beaux-Arts de Nancy et de la Maison de Jean Prouvé, poste que j’occupe toujours. Je suis en outre actuellement chargé de la mission de préfiguration d’une direction générale des musées de Nancy. En parallèle, j’ai été chargé de différents cours pour l’Ecole du Louvre, dont je suis membre du Conseil des Etudes et de la Recherche.

Pouvez-vous présenter le musée des Beaux-Arts de Nancy ?

Nancy_Musee_des_Beaux-Arts_BW_2015-07-18_13-55-20Le Musée des Beaux-Arts de Nancy est l’un des plus anciens de France puisqu’il a été inauguré le 16 mai 1793. Ses collections de 41 000 oeuvres relativement encyclopédiques s’étendent des primitifs italiens jusqu’à l’art contemporain et ont attiré 118 519 visiteurs en 2015. J’apprécie beaucoup la richesse de ce fonds, qui doit autant à la qualité des œuvres qu’à leur diversité. Le musée est aussi fort d’une très belle architecture classée pour partie aux MH (remparts de la Renaissance, Pavillon du XVIIIe siècle, aile Art Déco, extension de 1999) sur une superficie de 9 000 m2. Nous travaillons avec une équipe de 57 agents.

Vous êtes engagé dans un long chantier de numérisation de votre collection.  Combien d’œuvres ont déjà été numérisées depuis que ce chantier a été lancé ?

Actuellement notre photothèque abrite 21 000 fichiers numériques (haute et moyenne définition). Ce qui représente une couverture numérique de près de 60% de la collection. Depuis 2013, le Musée des Beaux-Arts de Nancy a consacré plus de 34 000 € à la numérisation de ses fonds.

Années Budget
2013 13 147€
2014 8 400€
2015 7 291€
2016 5 240€ (jusqu’en juin)

Comment financez-vous ces numérisations ?

Ces campagnes sont principalement financées sur le budget propre du Musée, qui est un établissement municipal en régie directe, excepté celle de 2013 qui avait bénéficié d’une subvention de l’Etat, dans le cadre d’un appel à projets de numérisation lancé par le ministère de la Culture et de la Communication.

Comment choisissez-vous les œuvres numérisées ? 

Les choix suivent d’une part l’actualité des acquisitions, des restaurations et des expositions. En dehors de ces impératifs la numérisation porte essentiellement sur le cabinet d’arts graphiques très riche (30 000 feuilles) et peu montré pour des raisons de conservation.

Combien reste-t-il d’œuvres à numériser et quand espérez-vous terminer la numérisation ?

Il reste encore environ 14 790 œuvres à numériser. Au rythme d’accroissement de la collection, il reste encore probablement une dizaine d’années de travail dans l’état actuel de nos moyens et des techniques employées. C’est un travail de longue haleine.

© France 3 Lorraine
© France 3 Lorraine

Le musée a intégré des oeuvres à la base Joconde: s’agit-il de l’intégralité de vos numérisations successives ?

Seules 4 551 œuvres sont mises en ligne sur Joconde. Pour chaque mise en ligne, il faut une notice complète et vérifiée ce qui prend beaucoup de temps. Nous rencontrons aussi le problème des artistes qui ne sont pas encore dans le domaine public.

Ces œuvres numérisées ne sont pas présentes sur votre site internet: pour quelle raison avez-vous fait ce choix ?

Notre site Internet ne permet malheureusement pas ce type de diffusion.

En revanche, vous avez choisi d’exporter certaines numérisations sur Flickr (374 photos): pourquoi avoir choisi cette plateforme ? Comment avez-vous choisi les œuvres présentes en ligne ?

Pour palier à l’impossibilité de mettre en ligne des images de qualité sur le site internet du Musée nous avons fait le choix de Flickr. Cette plateforme permet une importation simple des images et de leurs métadonnées et autorise la création d’album avec des commentaires et des tags. Nous l’utilisons donc pour archiver les expositions-dossiers du musée en reprenant les textes pédagogiques de ces dernières.

Actuellement nous offrons l’accès à l’ensemble des œuvres présentées dans les 4 expositions sur l’art et la guerre, ainsi qu’à l’accrochage sur Grandville et la caricature politique et l’exposition Dessins secrets et bientôt une exposition sur les estampes d’ornement au XVIIe.

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La fiche Flickr affiche 13 abonnés: avez-vous des chiffres d’audience de ces images ?

Non, pour cela il faudrait Flickr pro et nous étudions la possibilité de souscrire un abonnement pour avoir par ailleurs accès des fonctionnalités étendues.

De plus en plus de musées optent pour une stratégie Open Content (diffusion haute qualité des images sur leur site et téléchargement facilité) ou bien intègrent leurs images sur des plateformes touchant un large public (Wikipédia ou Google Arts et Culture); avez-vous des projets en la matière ? Quelle est votre position à ce sujet ?

Actuellement nous avons une activité de vente de clichés de notre photothèque, mais nous réfléchissons à une diffusion plus large. A titre personnel,  je suis partisan des licences Creative Commons. Rien ne s’oppose à ce que nous diffusions un jour nos images sur Wikipedia ou que nous adhérions au Google Art Project.

26e158cae5Proposez-vous des outils numériques in situ ? 

La salle Jean Prouvé propose une tablette autorisant la navigation sur l’application de visite virtuelle de sa maison récemment réalisée.

Vous proposez actuellement une offre très complète de visite audioguidée au tarif de 3€: quel est le taux de prise de cette offre ?

Le taux de prise est stable et se situe entre 4 et 5 % chaque année.

Avez-vous des projets d’enrichissement de cet audioguide ?

Les grandes expositions du Musée s’accompagnent de la création d’un parcours audioguidé.

Avez-vous pour projet de faire une application numérique de visite ou pour une exposition temporaire ?

Nous étudions la possibilité de nous passer d’audioguides dans les années à venir au profit d’applications de visite en transférant les contenus existants et en en développant de nouveaux. L’idée est quadruple :

  • nous adapter aux nouvelles pratiques
  • offrir la même qualité de médiation au visiteur mais avec un coût maitrisé pour le musée et une offre tarifaire plus réduite voir gratuite si possible pour l’usager.
  • Gagner en autonomie dans la production des contenus et donc avoir une plus grande réactivité lors de nouveau accrochages ou de nouvelles acquisitions
  • bénéficier des innovations technologiques en constante évolution des tablettes et smartphones.

La Maison Jean Prouvé se visite virtuellement grâce à une application mobile depuis le début du mois de juin 2016: quel a été le rôle du Musée dans ce projet ?

Le Musée a la gestion de ce monument historique depuis 2013. La maison et le bureau des Ateliers sont classés au titre des Monuments Historiques depuis 1987. Considérée comme l’une des œuvres emblématiques de Jean Prouvé, cette construction a marqué l’architecture du XXe siècle. Nous nous sommes donc attachés à rendre ce lieu accessible, à tous les sens du terme.

Depuis 2012, la Ville de Nancy entreprend des travaux d’aménagement du site de la Maison de Jean Prouvé pour faciliter l’accessibilité au public, le plus large. Cependant, la Maison située en hauteur, sur un site escarpé et classé, ne peut cependant pas être accessible aux personnes à mobilité réduite. Nous avons donc eut l’idée de le rendre accessible virtuellement par le biais d’une application.

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Combien de contenus et de fonctionnalités sont proposés via cette application ?

Cette application permet une visite à 360° des espaces suivants :

  • l’extérieur de la maison
  • le salon,
  • la cuisine
  • les 3 chambres
  • la salle de bain
  • l’extérieur du Bureau des Ateliers
  • l’intérieur du Bureau des Ateliers

Ainsi qu’à l’album photos numérisé par la bibliothèque Kandinsky (Centre Pompidou, Paris) de la construction de la Maison de Jean Prouvé.

La navigation d’une salle à l’autre se fait par des icônes. Un plan interactif visible dans un coin de l’écran en permanence permet de se repérer dans l’architecture et de naviguer entre les espaces. Des boutons invitent le visiteur à obtenir plus d’informations sur les éléments remarquables de l’architecture et du mobilier, la biographie de Jean Prouvé, la collection Prouvé au Musée des Beaux-Arts, les informations pratiques.

Quel a été le budget de cette application et comment a-t-elle été financée ?

Le musée a passé commande à la société Motion agency, basée à Strasbourg pour effectuer cette réalisation innovante, qui a bénéficié du soutien financier de l’Etat et de la Région Lorraine à part égal ; Le montant est de l’ordre de 21 000 € (hors droits d’image).

Du 25 au 29 juin 2016, le musée a proposé une exposition “Objets partagés” présentant les créations réalisées par les enfants et adolescents ayant participé aux projets d’éducation artistique et culturelle (PEAC); s’agit-il d’une première ou bien faites-vous régulièrement des expositions impliquant le public ? Allez-vous répéter l’expérience ?

Le musée assure la programmation des expositions à la Galerie Poirel, c’est dans ce cadre que c’est développé ce projet en partenariat avec l’Education nationale à l’occasion d’une exposition d’objets issus des magnifiques collections de design du Centre national des arts plastiques (« Zones de confort » du 21 novembre 2015 au 17 avril 2016).

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(c) Galerie Poirel

Certains musées développent des actions pour impliquer leurs visiteurs dans la réflexion / conception d’outils (ex Muséolabo, museomix …), avez-vous des projets en la matière ?

Nous réservons l’exclusivité des muséolabos à nos voisins du Musée Lorrain car leur démarche est intimement liée au projet de rénovation de cet ensemble muséal. En revanche, nous serions très tentés par l’expérience museomix qui représente pour moi un réel appel à l’innovation.

Certains musées sollicitent leurs publics pour compléter leurs collections. Avez-vous des projets ?

Le musée des Beaux-Arts a bénéficié en 2 siècles de nombreux dons de très grande qualité et les artistes et collectionneurs continuent de nous faire bénéficier de leur générosité. Cependant, vu le niveau de la collection nous sommes évidement très sélectifs.

Certains musées sollicitent leurs publics pour financer / contribuer au financement. Avez-vous des projets ?

Le musée abrite une association d’amis très actifs et fait régulièrement appel au mécénat pour sa programmation mais aussi pour des projets d’acquisition ou de restauration.

Hors les murs, publics défavorisés…le numérique ne peut-il pas accompagner le musée dans sa mission d’inclusion sociale ?

Sans doute, mais le principal enjeu sera aussi à l’avenir de redonner le gout de la contemplation d’une œuvre originale dans un monde saturé d’images. Je précède de peu la génération des digital natives et paradoxalement la virtuosité dans le monde virtuel peut parfois créer un handicap face à l’œuvre. La navigation d’un lien à un autre, sans rapport avec la taille d’une œuvre, sans son relief, la résume à une simple image et comme le décrivait Walter Benjamin bien avant le web, elle perd une part de son aura.

Dans le projet Révélations au Petit Palais en 2010, tout l’enjeux était d’introduire par le numérique une temporalité, qui invitait le visiteur à prendre le temps de cette rencontre et conduisait son regard vers des détails lui faisant virtuellement toucher cette fameuse matérialité de l’œuvre d’art. Ma première visite du Château de Versailles, par exemple, c’est faite sur PC en 1996 sur le magnifique jeu vidéo développé par la réunion des musées nationaux, canal + et Cryo interactive. Malheureusement plus personne ne mise sur ce type de créations qui était véritablement ludo-éducatives mais visiblement peu viable financièrement.

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Utilisez-vous l’innovation et le numérique dans des actions éducatives ?

En pratique, les nouveaux publics sont des publics exigeants et l’investissement doit être à la hauteur de leurs attentes, au risque de manquer le rendez-vous. Il faut donc trouver l’opportunité d’un partenariat de grande qualité, comme ce fut le cas avec Samsung qui avait vraiment joué le jeu de miser sur des contenus numériques de grande qualité pour l’époque et pour le Petit Palais qui s’était également beaucoup investit dans l’apport de contenus scientifiques.

Développez-vous des projets numériques communs avec d’autres institutions locales ou régionales ?

Nous nous associons actuellement au grand projet de Bibliothèque numérique de référence du Sillon Lorrain porté par la Bibliothèque municipal de Nancy avec l’idée de pouvoir disposer à terme d’un portail des collections muséales de la ville tournés vers un large public. Ce projet est porté par Malik Diallo, jeune conservateur à la bibliothèque de Nancy et geek dynamique.

La mutualisation ne pourrait-elle pas être un moyen pour les musées des beaux-arts de développer leur offre d’outils et d’activités numériques ? auriez-vous des projets en la matière que vous aimeriez partager avec d’autres musées des beaux-arts français ?

Nous allons mettre en place à la rentrée une direction générale des musées de Nancy au sein de laquelle nous aurons un responsable de la médiation numérique. Nous collaborons scientifiquement avec de nombreux musées, mais le portage de projets entre plusieurs collectivités peut se révéler administrativement très complexe. Pour des applications concrètes l’échelon local reste pour nous le plus praticable, du moins en France.

Avez-vous de nouveaux projets numériques ?

En vue de notre prochaine exposition, nous avons créé une page Facebook pour Emile Friant (peintre mort en 1932) afin d’utiliser ce réseau social comme un outil de médiation tourné vers les plus jeunes et surtout participatif.

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Plus globalement, comment imaginez-vous le musée des beaux arts du XXIème siècle ?

Les musées ont évolué en agrégeant les missions. D’abord lieux de conservation d’un patrimoine commun, ils ont intégré au fil du temps la médiation. La prochaine étape sera de les rendre participatifs. Pour prendre faire un parallèle avec les encyclopédies nées comme les musées de beaux-arts pendant le siècle des lumières, il nous faut passer d’Universalis à Wikipédia. Les réseaux sociaux et les nouvelles technologies permettront cette mutation.

Nous ne parlons déjà plus du public, mais des publics. L’idéal serait de personnaliser les contenus jusqu’à les individualiser. Les outils de géo-localisation couplés à une intelligence artificielle pourraient bientôt autoriser la création d’applications de visites s’adaptant aux comportements de visites. Les robots qui traquent nos cookies sur internet pour nous proposer des contenus publicitaires personnalisées pourraient me semble-t-il être détournés à des fins de médiation, en s’adaptant au visiteur, à son âge, sa langue, mais aussi ses gouts, le temps dont-il dispose, ces précédents parcours, etc… les possibilités sont infinies.

Cette interview est la première d’une série de prises de parole de responsables des musées des Beaux-Arts nous expliquant leur stratégie numérique.

Profil Linkedin et compte Twitter de Charles Villeneuve de Janti

Propos recueillis par mail le 06/07/2016

Photos: © Musée des Beaux-Arts de Nancy, Galerie Poirel, France 3 Lorraine

Date de première publication: 07/07/2016

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