Recherche en Neuroscience : comment « La Jeune Fille à  la Perle » de Vermeer captive visuellement le visiteur ?

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Temps de lecture : 5 min

Le 2 octobre 2024, le musée Mauritshuis de La Haye a présenté les résultats d’une recherche en neuroscience menée sur son chef d’œuvre « La Jeune Fille à  la Perle » de Vermeer. Cette étude récente montre que regarder un vrai tableau au Mauritshuis active le cerveau différemment que regarder une reproduction du même tableau. La réaction émotionnelle du spectateur est dix fois plus forte lorsqu’il se trouve face à  face avec le tableau dans le musée. C’est la première fois que le Mauritshuis commande ce type de recherche sur ses peintures.

Les chercheurs ont utilisé des électroencéphalogrammes (EEG) pour révéler que les œuvres d’art réelles, dont « La Jeune Fille à  la perle », suscitent une réaction positive puissante bien supérieure à  celle des reproductions.

Le secret de l’attraction de la « Fille » repose également sur un phénomène neurologique unique. Contrairement à  d’autres peintures, elle parvient à  « captiver » le spectateur, dans une « boucle d’attention soutenue ».

Martine Gosselink, directrice du Mauritshuis : « Nous voyons des reproductions de tableaux célèbres partout, en particulier La Jeune Fille à  la perle de Vermeer. Cette étude a montré une fois pour toutes qu’une visite au Mauritshuis ou dans un autre musée a une valeur émotionnelle bien plus grande ».

Clip vidéo de présentation du projet de recherche:  

  • Une réaction émotionnelle plus forte face à  l’œuvre

La « Fille » et les quatre autres tableaux de référence étudiés (Rembrandt, Autoportrait, 1669 ; Rembrandt, La Leçon d’anatomie, 1632 ; Vermeer, Vue de Delft, vers 1660-6 ; et Van Honthorst, Le joueur de violon, 1626.) ont tous eu une « attraction » bien plus forte dans la vie réelle que les mêmes œuvres reproduites, dix fois plus, en fait.

Selon les chercheurs, cela suggère que « regarder une œuvre d’art suscite une forte réaction émotionnelle, qui est également influencée par l’ambiance du cadre (le cadre, l’éclairage, etc.) ».

Par ailleurs, le chef d’œuvre de Vermeer a clairement attiré le plus d’attention de tous les tableaux étudiés.

  • Yeux-bouche-perle

Comme pour la plupart des visages, les visiteurs regardent d’abord les yeux et la bouche de la Fille, mais leur attention se déplace ensuite vers la perle, qui ramène ensuite l’attention sur les yeux et la bouche, puis sur la perle, et ainsi de suite.

Ce phénomène (connu sous le nom de « boucle d’attention soutenue »), qui pousse les spectateurs à  regarder le tableau plus longtemps que tout autre dans l’étude du Mauritshuis, n’a été identifié que dans le cas de  La Fille à  la perle.

Cette boucle d’attention est la raison pour laquelle on s’attarde plus longtemps sur ce tableau que les autres, explique Martin De Munnik, de la société de recherche Neurensics qui a mené l’étude. « Vous êtes obligé d’être attentif, que vous le vouliez ou non ».

  • Introspection

Un autre résultat frappant de l’étude est le fait que, lorsque quelqu’un regarde la Fille, c’est le précunéus qui est de loin la partie la plus stimulée de son cerveau. Le précunéus est impliqué dans le sens de soi, l’introspection et les souvenirs épisodiques.

Ce résultat pour le célèbre tableau de Vermeer s’est révélé beaucoup plus significatif dans l’étude que pour quatre autres tableaux de la collection Mauritshuis étudiés de la même manière, à  titre de référence.

  • Une étude menée par des experts en neurologie

Le Mauritshuis a commandé l’étude à  Neurofactor, qui s’est chargé de la recherche elle-même. Le musée avait exigé que l’étude soit scientifiquement fondée.

C’est pourquoi Neurofactor a fait appel à  Neurensics, une agence indépendante de recherche en neurosciences grand public. Le professeur Victor Lamme, le Dr H. Steven Scholte et Andries van der Leij (copropriétaires de Neurensics) sont responsables de la fiabilité scientifique de toutes les recherches de l’entreprise et enseignent également à  l’Université d’Amsterdam. Liselore Tissen (Université de Leyde, TU Delft, Académie royale néerlandaise des arts et des sciences) a conseillé l’équipe en tant que scientifique externe indépendante. Elle avait déjà  étudié comment les reproductions 3D peuvent améliorer la perception des visiteurs de La Jeune Fille à  la perle et leur expérience du musée. Cette étude récente fait suite à  ses travaux.

  • Conduite de la recherche

L’étude s’est déroulée en deux phases.

. Tout d’abord, dix personnes portant des casques EEG et des oculomètres ont suivi un certain parcours dans le Mauritshuis, qui comprenait la Jeune Fille et quatre autres tableaux de la collection. Les dix mêmes sujets ont ensuite pu voir la reproductions de 3 tableaux de la collection du Mauritshuis (Vermeer, Jeune fille; Rembrandt, Autoportrait; Van Honthorst, Le joueur de violon. Il n’est pas possible d’obtenir des reproductions grandeur nature de La Leçon d’anatomie et de Vue de Delft.) toujours avec un casque EEG et un eye tracker. Dix autres sujets ont fait de même, mais ont d’abord regardé les reproductions avant de faire le tour du musée.

. Dans la deuxième phase de l’étude, une IRM fonctionnelle (IRMf) a été réalisée sur 20 personnes de l’Université d’Amsterdam. Au cours de l’IRM fonctionnelle, les sujets ont pu voir des reproductions des cinq tableaux du Mauritshuis. Cinq personnes ont participé aux deux phases de l’étude.

Le co-fondateur de Neurensics a déclaré qu’il serait « intéressant de réaliser des études similaires sur d’autres peintures célèbres, comme la Joconde de Léonard De Vinci ».

Martin de Munnik, co-fondateur de Neurensics : « C’était la mission la plus spéciale pour nous ces dernières années. Pouvoir observer l’effet d’un tableau célèbre comme La Jeune Fille a été une expérience unique pour nos scientifiques. Le fait que la Fille soit spéciale était prévisible. Mais le pourquoi nous a également surpris. La boucle d’attention soutenue découverte est l’explication factuelle derrière toutes sortes d’opinions que les gens ont sur l’attention que la Fille exige de nous. Un impact qui est amplifié lorsque l’œuvre est admirée dans un musée ».

Erik Scherder, professeur de neuropsychologie, Vrije Universiteit Amsterdam : « Regarder une œuvre d’art stimule votre cerveau à  plusieurs niveaux. Cela suscite l’excitation, déclenche l’imagination et vous fait réfléchir à  ce que vous voyez. C’est un enrichissement ultime, qui active votre cerveau au maximum ».

Liselore Tissen, Université de Leyde, TU Delft, Académie royale néerlandaise des arts et des sciences : « C’est une chose unique pour un musée de se servir de l’art non seulement pour réunir des chercheurs de différentes disciplines, mais aussi pour mettre en pratique leurs travaux, en mettant l’expérience du visiteur au premier plan ». Compte Linkedin

Vera Carasso, directrice de l’Association néerlandaise des musées : « Nous vivons à  une époque o๠nous sommes de plus en plus confrontés à  des copies et à  des interprétations de la réalité. On pourrait penser que l’art ou les objets réels et authentiques perdent de leur importance, mais c’est le contraire : le réel prend de l’importance. La rencontre avec une œuvre d’art réelle est bien plus intense qu’avec une copie. C’est formidable que cet effet ait été démontré scientifiquement et puisse être observé dans l’activité cérébrale. Les résultats de cette nouvelle recherche sont importants et pertinents pour l’ensemble du secteur muséal ».

  • Une étude unique en son genre

Selon le musée de La Haye, il s’agit de la première étude de ce type qui utilise les technologies de l’électroencéphalogramme (EEG) et de l’IRM afin de mesurer une réaction neurologique face à  une œuvre d’art.

Des musées du monde ont néanmoins déjà  utilisé les neurosciences. En 2017, le Peabody Essex Museum a été le premier musée du monde à  accueillir un neuroscientifique en résidence et d’en recruter un dans son équipe en 2020. Depuis cette date, le musée du Massachusetts poursuit un programme associant art et neurosciences.

Dans le passé, des expériences d’eye tracking ont également été menée en France. De novembre à  décembre 2015, le Musée  du Louvre a collaboré avec la startup Suricog, spécialisée dans l’eyetracking. En mars 2017, durant l’exposition « Le Mystère Le Nain » au musée du Louvre-Lens, 300 visiteurs se sont prêtés à  une expérience du CNRS destinée à  identifier les éléments les plus marquants dans sept toiles de l’exposition.

L’institution compte s’appuyer et éventuellement sur la suite de la recherche, pour développer ses activités bien être et mieux être dans ses salles et face à  ses œuvres.

SOURCES: Mauritshuis (CP), presse

PHOTOS: Mauritshuis

Date de première publication: 03/10/2024

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