Avec l’IA, l’Ircam recrée la voix d’André Breton pour l’exposition “Surréalisme” du Centre Pompidou

Partager :
Temps de lecture : 4 min

Conçue à la façon d’un labyrinthe, l’exposition « Surréalisme » est une plongée inédite dans l’exceptionnelle effervescence créative du mouvement surréaliste, né il y a 100 ans, avec la publication du Manifeste fondateur d’André Breton. A cette occasion, l’IRCAM a recréé la voix du célèbre poète, en s’appuyant sur l’intelligence artificielle. Cette voix guide d’ailleurs le visiteur dans le parcours de l’exposition évènement, proposée du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025.

Associant peintures, dessins, films, photographies et documents littéraires, l’exposition “Surréalisme” présente 250 chefs d’œuvre d’artistes emblématiques du mouvement, issus de collections publiques et privées internationales. Parmi les artistes représentés, on retrouve Salvador Dalí, René Magritte, Giorgio de Chirico, Max Ernst, Joan Miró, sans oublier les surréalistes femmes, telles que Leonora Carrington, Ithell Colquhoun, Dora Maar.

  • Une découverte du surréalisme au son de la voix d’André Breton

Dès l’entrée, la voix du poète guide les visiteurs jusqu’au cœur de l’exposition, où est présentée son Manifeste du surréalisme, abrité par un « tambour » central.

La découverte du manuscrit original d’André Breton, prêté à titre exceptionnel par la Bibliothèque nationale de France, est accompagnée par un court métrage immersif projeté à 300 degrés, qui en éclaire la genèse et le sens.

Innovation majeure de la médiation: bien que ce soit la voix d’André Breton lui-même qui présente ces écrits, celle-ci n’a en vérité jamais été enregistrée à l’époque de la publication du Manifeste.

La reconstitution de cette voix est une prouesse scientifique, réalisée par les équipes du laboratoire Sciences et Technologies de la Musique et du Son (STMS) de l’Ircam, qui sont parvenues à recréer la voix du jeune poète grâce à l’intelligence artificielle.

Bande annonce de l’exposition :

 

À la fois chronologique et thématique, le parcours introduit par la voix de Breton est rythmé par 14 chapitres évoquant les figures littéraires ayant inspiré le mouvement (Lautréamont, Lewis Carroll, Sade…) et les principes poétiques qui structurent son imaginaire (l’artiste-médium, le rêve, la pierre philosophale, la forêt…).

  • Un nouveau défi de conversion vocale pour les équipes de l’Ircam

Après De Gaulle ou Dalida, les chercheurs et ingénieurs de l’Ircam réalisent à nouveau l’exploit de faire revivre une voix disparue, avec le défi supplémentaire de la rajeunir.

Pour cela, l’équipe Analyse et synthèse des sons a eu recours aux nouvelles technologies de pointe développées pour la conversion vocale, elles-mêmes basées sur les dernières avancées des recherches fondamentales en intelligence artificielle.

“Le processus de reconstitution qui a été mis au point est fondé sur des technologies d’apprentissage profond (deep learning) combinant des stratégies d’analyse de contenu et de différenciation qui permettent de démêler le contenu et l’expressivité du discours de l’acteur interprétant André Breton, de son identité vocale” explique l’IRCAM dans un article publié sur son site.

“L’objectif étant de transformer la voix d’un acteur vivant en voix historique, l’équipe de recherche s’est distancée des outils appelés « text-to-speech », qui permettent aujourd’hui de générer à partir d’un texte une voix synthétique intelligible et expressive, mais qui manque de contextualisation, pour se tourner vers un modèle de conversion de la voix du locuteur.

En partant de l’interprétation de l’acteur, ce modèle en change l’identité vocale tout en conservant son naturel et son expressivité et le contenu du discours, pour la remplacer par celle de Breton. Une fois ce masque vocal créé, quelques derniers ajustements sonores sont appliqués en post-production. La voix est alors prête, plus vraie que nature”.

  • Des sources multiples

Dans une interview parue dans le Journal du CNRS, Axel Roebel, chercheur acousticien, qui a permis cette reconstitution, explique la variété des sources sur lesquelles les équipes de l’IRCAM se sont appuyées pour recréer la voix d’André Breton jeune.

Nous travaillons à partir de trois sources sonores différentes. Nous utilisons d’une part une base de voix de 120 locutrices et locuteurs français, qui parlent chacun 30 à 60 minutes, en lisant des textes sur un ton standard. Nous disposons par ailleurs d’enregistrements de la voix d’André Breton datant des années 1940/1950, alors qu’il approchait les 50 ans. Ils nous permettent de définir la tessiture de sa voix, son « ADN » vocal en quelque sorte. Mais ces enregistrements ne sont pas suffisamment complets, par exemple nous n’avons pas toutes les combinaisons de hauteur et de durée de sa voix, ni tous les diphones, c’est-à-dire toutes les transitions entre deux phonèmes.

Enfin, troisième source, nous avons fait enregistrer à un acteur le texte du Manifeste mais aussi d’autres phrases, en lui demandant d’imiter l’expressivité de la voix de Breton, la voix « cible ». C’est le comédien Hughes Jourdain, âgé de 31 ans, l’âge d’André Breton lorsqu’il a écrit le Manifeste, qui s’est prêté à ce jeu de l’imitation. Nous avons besoin de cette voix « source » d’un acteur car l’IA ne sait pas s’adapter à un contexte. Quand deux interlocuteurs dialoguent, ils réagissent chacun aux intonations de l’autre, modulent et modifient leur voix en permanence. Donc de même qu’au cinéma, les réalisateurs utilisent la gestuelle d’un acteur quitte à transformer ensuite son apparence physique, à changer la couleur de sa peau par exemple ; en audio, nous utiliserons les intonations de l’acteur pour combiner ensuite sa voix avec celle de la voix cible”.

A la question “La voix obtenue est-elle tout à fait identique à l’originale ?”, l’ingénieur répond Non, une personne exercée reconnaît que la voix n’est pas totalement naturelle, notamment à cause des silences au sein desquels on peut entendre des bruits robotiques un peu étranges”. 

Dans l’interview donnée, Axel Roebel imagine d’autres usages possibles du “clonage” des voix : nous travaillons aussi sur de nombreuses autres applications, par exemple sur les modèles « text-to-speech », dans le contexte d’applications pour livres audio afin que les textes soient lus avec plus d’expressivité”.

La voix d’André Breton est la troisième voix clonée par l’IRCAM. En 2022, l’institut avait “ressuscité” la voix parlée (non pas chantée) de Dalida, pour une émission de Thierry Ardisson. Et en 2023, à la demande du journal Le Monde, il a recréé l’appel du 18 juin du général de Gaulle, dont aucun enregistrement n’a été retrouvé.  

L’exposition “Surréalisme” propose ainsi un parcours unique, sublimé par le récit de l’auteur de l’un des textes fondateurs de ce mouvement intellectuel, littéraire et artistique qui a révolutionné les pensées, au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Découvrir le projet

Visiter l’exposition

Commissariat de l’exposition : Didier Ottinger directeur adjoint du Musée national d’art moderne et Marie Sarré attachée de conservation au service des collections modernes, Centre Pompidou

Reconstruction de la voix d’André Breton avec des techniques d’intelligence artificielle.
Équipe Ircam: Axel Roebel directeur de recherche Ircam-STMS; Mathilde Abrassart doctorante Ircam-STMS et Sylvain Cadars ingénieur du son. Avec la voix de Hugues Jourdain.

www.centrepompidou.fr/fr/magazine/article/comment-le-centre-pompidou-a-recree-la-voix-dandre-breton-grace-a-lia

www.ircam.fr/article/ia-ircam-voix-andre-breton-exposition-surrealisme-centre-pompidou

SOURCE: Centre Pompidou, IRCAM, CNRS (articles en ligne)

PHOTO du carrousel: De gauche à droite : « PHOTOMATON » Portrait d’André Breton © Centre Pompidou; Le Manifeste du surréalisme © BnF, département des Manuscrits; Équipe Analyse Synthèse et Son © Philippe Barbosa.

Date de première publication: 04/09/2024

Le Centre Pompidou est membre du CLIC

rnci 24 replay

Laisser un commentaire