Nasher Museum of Art : premier musée du monde à confier le commissariat d’une exposition à ChatGPT

Partager :
Temps de lecture : 5 min

Le Nasher Museum of Art de l’Université Duke s’est associé à ChatGPT, plateforme d’intelligence artificielle d’OpenAI, pour organiser une exposition d’art. Le conservateur en chef Marshall Price a suggéré en plaisantant d’utiliser l’IA en réponse à une pénurie de personnel et à une lacune dans la programmation du musée. L’équipe de conservation du musée a décidé de relever le défi et d’entrainer ChatGPT à devenir un bon commissaire d’exposition. Le résultat est diversement apprécié par la presse mais le débat sur la place de l’IA dans les musées est engagé.

“Avec les progrès récents de l’intelligence artificielle (IA), désormais de plus en plus accessible au monde, notre société se trouve à un autre carrefour technologique et éthique. De grandes quantités de données peuvent être synthétisées dans la génération de textes et d’images et dans l’interprétation analytique, ce qui donne lieu à certains processus de prise de décision, autrefois le domaine exclusif des humains, désormais de plus en plus délégués aux ordinateurs”. En 2023, le Nasher Museum of Art s’est ainsi lancé dans une expérience visant à utiliser l’IA pour organiser une exposition de sa collection. 

Après six mois de “formation”, ChatGPT a sélectionné 21 œuvres d’art parmi la collection de près de 14 000 objets du musée pour les présenter dans l’exposition intitulée “Agissez comme si vous étiez un conservateur” (du 9 septembre 2023 au 13 janvier 2024).

ChatGPT a été chargé d’identifier les œuvres d’après 1 thème imposé, de suggérer le placement des œuvres d’art et de leur adjoindre des textes d’accompagnement.

Pour l’exposition du Nasher, ChatGPT a ainsi généré le texte d’introduction d’environ 230 mots : Des peintures aux dessins, du XIXe siècle à l’époque contemporaine, cette exposition met en valeur le pouvoir de l’art pour évoquer différentes émotions et interprétations. L’un des points forts de l’exposition est une peinture abstraite sans titre de Dorothy Dehner datant de 1962. Les couleurs vibrantes et les coups de pinceau audacieux du tableau invitent le spectateur à entrer dans un monde de pure imagination.”

Photo : Cornell Watson
  • Un défi lancé 

Dans un monde où l’intelligence artificielle est de plus en plus intégrée à diverses professions, des pilotes militaires aux annonceurs, le Nasher Museum of Art de l’Université Duke a décidé d’explorer le potentiel et la menace de l’IA sur la vie du musée. Et tout a commencé par un défi !

Confronté à une pénurie de personnel et à une annulation surprise dans la programmation de l’automne, Marshall Price, le conservateur en chef du musée, a suggéré à son équipe de confier le commissariat de la prochaine exposition à ChatGPT, le chatbot développé par OpenAI.

Et l’équipe a accepté de relever ce défi et de se lancer dans la préparation de la nouvelle exposition “Agissez comme si vous étiez un conservateur”.

  • 6 mois de “formation” 

Le voyage vers un commissariat basée sur l’IA a commencé avec Mark Olson, professeur d’études visuelles à l’Université Duke, qui a relevé les défis techniques liés au réglage de ChatGPT pour naviguer dans la vaste collection du musée. Les étudiants et les professeurs du département d’art, d’histoire de l’art et d’études visuelles de Duke et du laboratoire de recherche sur l’histoire de l’art numérique et la culture visuelle de Duke ont commencé par créer un outil permettant d’extraire des informations de la base de données de la collection du musée. Cet ensemble de données de près de 14 000 objets de la collection du Nasher Museum a ensuite été transformé en données lisibles par la machine et compréhensibles par la plateforme ChatGPT d’OpenAI. L’équipe a développé une série d’instructions pour ChatGPT qui lui demandaient de sélectionner des œuvres d’art pour l’exposition et de créer des textes de salles et de cartels.

L’assistante de conservation Julianne Miao a joué un rôle central dans les premières interactions avec le chatbot, lui demandant d’abord de sélectionner des œuvres liées à des thèmes comme la dystopie, l’utopie, les rêves et le subconscient. ChatGPT a d’abord généré des idées d’expositions sur la justice sociale et l’environnementalisme. Puis Julia McHugh, conservatrice et directrice des initiatives académiques du musée, a noté que l’IA affichait une préférence pour des thèmes tels que le subconscient, incitant les conservateurs “humains” à orienter le commissaire “numérique” à développer davantage ces sujets.

Au bout de 6 mois de “formation”, ChatGPT a finalement nommé le projet “Rêves de demain : visions utopiques et dystopiques”.

  • Des critiques mitigées 

Dès son ouverture le samedi 9 septembre 2023, l’exposition a reçu des critiques mitigées, certaines remettant notamment en question la qualité de la sélection et l’exactitude des descriptions.

Dans un article présentant l’exposition et le projet, le journaliste du New York Times du 8 septembre 2023, écrit “Que l’exposition soit considérée comme un succès de conservation dépend du point de vue de chacun. L’outil manquait de l’expertise nuancée de ses collègues humains, produisant une très petite exposition avec des inclusions douteuses, des objets mal titrés et des textes informatifs errants”.

Lorsqu’on lui a demandé si l’expérience ChatGPT avait abouti à une bonne exposition, Marshall Price, conservateur en Chef du musée, a fait une pause avant de rire et de déclarer : “Je dirais que c’est une exposition éclectique. Visuellement parlant, c’est assez décousu, même si c’est thématiquement cohérent.”

  • Une première mondiale dans un musée

L’exposition du musée de l’Université Duke est l’une des utilisations les plus poussées de l’intelligence artificielle dans les musées d’art.

Le projet visait avant tout à mettre en lumière le débat en cours sur le rôle de la technologie dans le domaine muséal et son impact sur les responsabilités et les métiers. L’exposition présente ainsi le potentiel et les limites de l’IA dans le monde de la conservation d’art.

L’expérience démontre que l’IA a le potentiel d’aider à analyser de vastes collections, à établir des relations entre les œuvres et à découvrir des créations négligées, mais l’automatisation du processus de commissariat a heureusement montré des limites évidentes.

Malgré les nombreuses erreurs, le conservateur en chef du musée estime que l’intelligence artificielle est une nouvelle lentille à travers laquelle nous pouvons voir et comprendre nos collections”. “L’intelligence artificielle est une technologie naissante, mais qui est là pour rester. Nous espérons que cette expérience mettra en lumière son utilité et ses limites au sein des musées, de l’enseignement supérieur et plus largement des industries créatives.”

Le musée ajoute: “même si les professionnels des musées sont loin d’abandonner le contrôle de la création et de l’interprétation des expositions, cet exercice a constitué un moyen efficace d’explorer les applications de l’IA dans le domaine créatif en termes de paternité et d’expertise des conservateurs, de subjectivité du processus de sélection et de l’impact futur de la technologie sur les expositions des musées”.

  • De précédents exemples de commissariat avec l’IA

Cette collaboration entre le musée d’art de l’Université Duke et ChatGPT intervient après deux tentatives d’utilisation de l’IA dans des exercices de commissariat artistique.

. En 2022, la Biennale de Bucarest en Roumanie a été organisée par Jarvis, un programme d’intelligence artificielle qui a sélectionné une douzaine d’artistes après leur avoir attribué des « valeurs de score » en fonction de leur popularité et de leur adéquation avec le thème central de l’exposition, la culture populaire.

. Un an plus tôt, le Whitney Museum et la Biennale de Liverpool avaient commandé un projet intitulé “La prochaine Biennale devrait être organisée par une machine”, qui utilisait un outil développé par OpenAI pour générer des biographies d’artistes fictives et des déclarations curatoriales absurdes, une caricature du langage utilisé dans les vraies biennales.

Alors que l’industrie muséale continue de redéfinir sa relation avec la technologie, les discussions et les expériences en cours contribuent à accompagner la réflexion sur l’avenir du musée, de la conservation à la valorisation des collections.

nasher.duke.edu/exhibitions/act-as-if-you-are-a-curator-an-ai-generated-exhibition/  nasher.duke.edu/stories/behind-the-scenes-of-an-ai-generated-exhibition/

SOURCES: Nasher Museum of Art, presse

PHOTOS: Nasher Museum of Art

Date de première publication: 12/09/2023

banner clic avril 2024

Laisser un commentaire