[DOSSIER] Les musées et lieux de patrimoine doivent-ils rester sur X ?

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Faut-il rester sur le réseau social X (anciennement twitter) ? Ce qui était hier un dilemme est aujourd’hui une tendance ! Dans les secteurs des médias, de la recherche et des territoires, de nombreuses institutions et entreprises ont déjà  pris la décision de quitter le réseau racheté par Elon Musk, en 2022. Certains musées et lieux de patrimoine on adopté la même stratégie marketing, qui s’apparente aussi souvent à  un geste politique et citoyen.

[EVENT CLIC] Rencontre en ligne sur le thème « Les musées et lieux de patrimoine doivent-ils rester sur X ? » – Mardi 18 mars 2025, 14.30. Le mardi 18 mars 2025, le CLIC propose une rencontre en ligne sur le thème « Les musées et lieux de patrimoine doivent-ils rester sur X ? »  avec les témoignages du  Musée des Beaux-Arts de Lyon  (Guillemette Naessens,  Responsable du service communication), du  Musée d’Histoire de Nantes  (Lydia Labalette, Administratrice), du  Palais de la Porte Dorée  (Benjamin Bechaux, Directeur du développement, des publics et de la communication) et de  Paris Musées  (Agnes Benayer, Directrice du développement, de la communication et des publics).  Activité réservée aux membres du CLIC. Inscription obligatoire en ligne :  webinaire@club-innovation-culture.fr  avant le lundi 17/03/2025, 13.00.

« Les réseaux des GAFAM présentent désormais un risque systémique pour les démocraties, il faut en sortir collectivement. On est face à  un problème de convention sociale  : tout le monde est sur X €¦ parce que tout le monde est sur X, ajoute-t-il.  à€ l’heure o๠X est instrumentalisé jusque dans l’algorithme par Elon Musk à  des fins politiques, il est temps de changer de convention », expliquait le mathématicien, chercheur au CNRS et spécialiste des réseaux sociaux, David Chavalarias,  dans un grand entretien à  Ouest-France.  

En 2024,  six millions de personnes en France se connectaient chaque jour sur le réseau social d’Elon Musk, dont deux tiers d’hommes et de nombreux décideurs et journalistes.  

  • Une stratégie déjà  suivie par des collectivités et des médias  

Dans les secteurs des médias, de la recherche et des territoires, des institutions et entreprises majeures ont déjà  pris la décision de quitter le réseau X et de le faire savoir.

Avant le 20 janvier 2025, jour de l’investiture de Donald Trump aux Etats-Unis, nombreux sont celles et ceux qui avaient quittés définitivement X pour refuser « la mainmise du milliardaire Elon Musk qui amplifie la désinformation et cautionne la haine en ligne ». De nombreuses institutions, collectivités, universitaire, médias, associations, politiques et personnalités publiques ont également fait ce choix.

Parmi les médias, on peut citer l’anglais TheGuardian, l’espagnol La Vanguardia, et les français Le Monde, les groupes de journaux régionaux Ouest-France et Sud Ouest ou encore Mediapart.

Le monde de la recherche déserte également en masse ce réseau. « La réalité d’X est un frein majeur à  nos missions : informer, alerter, et éclairer le débat public. Cette plateforme agit comme un poison, à  un moment o๠nos sociétés devraient au contraire trouver des espaces d’échanges pour s’accorder sur les moyens de faire évoluer nos modes de vie en profondeur pour faire face au changement climatique et à  l’effondrement de la biodiversité »  expliquaient ainsi les chercheurs à  l’initiative d’une tribune publiée dans le NouvelObs.

On ne compte plus les collectivités territoriales qui ont quitté X, jugé « toxique » pour la démocratie depuis son rachat par le milliardaire Elon Musk. Un mouvement qui s’est accéléré depuis le lundi 20 janvier 2025. On peut notamment citer les régions Bretagne, Grand Est, Nouvelles Aquitaine, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur; les départements Charente, Gironde, Hérault, Lot, Landes et Seine-Saint-Denis et les villes et métropoles de Bordeaux, Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Lyon, Nantes, Paris, Poitiers, Rennes, Strasbourg et Toulouse.

« En tant que président de région, il est de mon devoir de défendre les valeurs, chères aux Bretonnes et aux Bretons, de progrès social, de solidarité, d’ouverture au monde et aux autres. Et si je suis évidemment favorable à  la liberté d’expression, je considère qu’elle ne peut s’exercer sans contrôle, en dehors des principes fondamentaux de respect et de modération. Depuis le rachat de la plateforme par Elon Musk, les propos mensongers, haineux, racistes, révisionnistes qui se répandent sur X menacent nos démocraties. Il est donc de ma responsabilité, en tant qu’élu, de me retirer d’un réseau qui refuse d’appliquer les règles européennes de contrôle » a déclaré le mardi 14 janvier 2025, Loà¯g Chesnais-Girard, Président de la région Bretagne (près de 116.000 personnes sur X) et annonçait son retrait personnel (20.000 abonnés).

Il faut également souligner que seules quelques personnalités politiques françaises, principalement de gauche, ont décidé de quitter X. Les départs encore trop timides s’expliquent largement par le fait que de nombreux acteurs politiques ont choisi depuis longtemps de remplacer les communiqués de presse par des tweets. En novembre  2023, Anne Hidalgo avait été la première personnalité politique française à  cesser son activité sur ce réseau, o๠elle était suivie par 1,5  million de personnes.

  • Les lieux culturels pionniers du départ de X

Certains lieux culturels ont adopté une stratégie de retrait dès le rachat de Twitter en 2022. Les Beaux-Arts de Paris (9 349 abonnés, dernier post en octobre 2023), le Festival d’Avignon (35 200, juillet 2023) et Le Voyage à  Nantes (22 200) ont ainsi progressivement cessés d’alimenter leur compte ou ralenti leur rythme de publications. Le 2 avril 2024, LVAN qui gère notamment le musée d’histoire de Nantes et les Machines, annonçait sur X sa décision de quitter définitivement X !

Comme l’institution Nantaise, la Gaité-Lyrique (131 500, dernier post le 14/12/2023) et le Palais de Tokyo (490 000, dernier post en octobre 2023 ) ont fait de leur départ de X une action citoyenne symbole de leur engagement sur les thématiques sociales, en cessant toute publication en 2023. Le 20 janvier 2025, le Palais de Tokyo publiait ce post sur X: « Nous avons décidé de suspendre notre activité sur cette plateforme. Vous pouvez suivre nos actualités sur notre site, nos autres réseaux sociaux et en vous inscrivant à  notre newsletter ! ».

  • Fermer ou suspendre son compte X ?

Rares sont les entreprises ou institutions à  avoir fermé ou supprimé leur compte X.

3 raisons sont souvent évoquées : la protection de la marque sur la plateforme, l’archivage des contenus déjà  publiés depuis parfois plus de 15 ans et la réversibilité de la décision.

Dans le domaine culturel et patrimonial, quelques structures ont pris la décision irréversible de suppression du compte : le Mémorial de Caen (supprimé le 06/01/2025), Les Rencontres d’Arles, le Musée des beaux-arts de Lyon et la Fondation Henri Cartier-Bresson.

« Notre projet est de transmettre la connaissance du passé au plus grand nombre, de défendre des valeurs de démocratie, de tolérance, de respect, d’altérité », a expliqué au Figaro le président du Mémorial de Caen.

  • Les musées et lieux de patrimoine qui ont quitté X ou stoppé la publication en le faisant savoir

Plusieurs musées et lieux de patrimoine ont pris la décision plus récente de quitter le réseau social en faisant connaitre leur décision.

Le Musée des arts et métiers (33 000) et l’Institut national d’histoire de l’art INHA (13 000), ont publié un communiqué de presse annonçant leur départ de X, suite au retour de Trump à  la Maison Blanche. Le 20 janvier 2025, dans son CP et sur Bluesky, le musée du Cnam expliquait sa décision avec ces termes : « Le musée quitte X . Ce choix fait suite aux évolutions de la plateforme, jugées incompatibles avec les valeurs d’inclusivité, de rationalité et de responsabilité que nous portons. RDV sur BlueSky et LinkedIn »  

D’autres institutions ont accompagné leur départ d’une publication sur X qui invitait à  les suivre sur leurs autres réseaux. On peut notamment citer le Musée de Cluny (86 300) et le CAPC-Musée d’art contemporain (13 600), qui a quitté X comme les autres musées municipaux bordelais, et qui annonce un « compte fermé » sur décision de la Ville de Bordeaux. « La Ville de Bordeaux ainsi que ses établissements municipaux quittent X ! Retrouvez-nous sur nos autres réseaux sociaux : Instagram, Facebook et Linkedin » peut on lire dans le dernier post publié symboliquement le 20 janvier 2025.

Les décisions des Villes de Lyon et Paris d’adopter la même stratégie globale de retrait, pour lutter contre « la toxicité et l’instrumentalisation politique croissante dont X fait l’objet depuis son rachat » ont entraà®né la fermeture des comptes ou l’arrêt de la publication de leurs musées. Il en est ainsi pour Paris Musées (92 900, compte inactif depuis le 20/01/2025 ) et de tous les musées municipaux parisiens, dont le Musée d’art moderne (175 600) ou le Petit Palais (99 100), qui se déclarent également « inactif » sur X.

  • Les musées et lieux de patrimoine qui ont quitté X ou stoppé la publication plus discrètement

Une partie importante des institutions culturelles qui ont quitté X ne l’ont pas annoncé, et ont plutôt choisi d’arrêter de publier sans fermer le compte et sans l’annoncer.

Le Centre des monuments nationaux (87 300) ne publie plus de contenus sur X depuis le 2 janvier 2025. Le Musée des arts décoratifs (56 600) a cessé ses publications le 01/01/2025, sans communiquer à  ce sujet.

Le Centre Pompidou (1 068 487), qui possède la deuxième communauté la plus importante sur X après le Louvre, a décidé de suspendre ses publications le 20 janvier 2025, sans pour autant fermer son compte et annoncer cette suspension.

Le 15 janvier 2025, le Muséum national d’histoire naturelle a cessé ses publications sur X (où il publiait depuis 2010). Le 24 janvier 2025, il annonçait à  ses 45 500 abonnés son arrivée sur Bluesky.

Le 11 février 2025, le Palais de la Porte Dorée – Musée national de l’histoire de l’immigration a annoncé sur X et sur Instagram qu’il « quittait X ». L’institution avait rejoint Twitter dès 2011. Son compte n’est plus accessible.

  • Les musées et lieux de patrimoine qui ont choisi de rester sur X et de continuer à  y publier

Les musées et lieux culturels qui ont choisi de rester sur X et de continuer à  y publier motivent cette décision par le fait de vouloir conserver une forte communauté constituée sur ce réseau, depuis de longues années.

Le Musée du Louvre (1 573 933 abonnés, un niveau record en France), le Musée d’Orsay (748 228), le château de Versailles (495 500), la Philharmonie de Paris (347 700), le Musée du quai Branly (300 756), la Bibliothèque nationale de France (245 200) restent ainsi sur X.

L’Institut du monde arabe (41 000 abonnés sur X) fait partie des institutions culturelles qui ont choisi de rester sur X non pas tant pour maintenir la relation avec une large communauté mais pour continuer à  y prendre la parole.

Cette stratégie semble d’ailleurs se rapprocher de la position actuelle du ministère de la Culture.   « La communication gouvernementale et étatique se doit de rester proche des pratiques d’information des citoyens et de maintenir un contact direct avec eux. Y maintenir une présence active est donc important pour garantir une parole publique et institutionnelle accessible au plus grand nombre. C’est la position que le ministère partage avec le service d’information du gouvernement » a déclaré un représentant de la rue de Valois au Journal des Arts.  

  • Investir d’autres réseaux ?

Certaines des institutions ou entreprises qui ont choisi de se retirer de X ne le font pas sans alternative. Elles redirigent parfois leur stratégie de communication ou de marketing vers des plateformes jugées plus éthiques ou pertinentes pour toucher leurs publics ou les influenceurs.

Parmi les principales alternatives choisies, la plateforme Bluesky  semble être la plus attractive. Fondée par Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, Bluesky se présente comme une alternative à  X, tant son interface lui ressemble. Son objectif est de créer un réseau social qui sera à  terme décentralisé pour permettre, à  terme, aux utilisateurs de changer d’hébergeur à  tout moment et aux plateformes qui l’utilisent d’être interopérables. Le 20 janvier 2025, une trentaine de députés (soit 30%) étaient passés à  Bluesky, selon le média Projet Arcadie. Le 1er février 2025, Bluesky a franchi la barre des 30 millions d’utilisateurs mondiaux et 1 milliard de publications. Quelques lieux de patrimoine français ont déjà  rejoint Bluesky : Musée de l’Homme (depuis le 25/11/2024, 900 abonnés), MNHN (depuis le 9/12/2024, 3 600 abonnés), Musée Air et espace (depuis le 17/12/2024, 3 400 abonnés), Musée Orsay (01/01/2025, 7 700), Musée Orangerie (01/01/2025, , 1 000) et Musées Arts et Métiers (20/01/2025, 677).

L’Orangerie et le @museeorsay.bsky.social inaugurent leurs comptes #BlueSky en vous souhaitant une très bonne année !
Découvrez nos expos de 2025.
bit.ly/VoeuxOrsay

Happy New Year with the Musée de l’Orangerie and the @museeorsay.bsky.social !
What’s the program for 2025 ?
bit.ly/WishesOrsay

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€” Musée de l’Orangerie (@museeorangerie.bsky.social) January 1, 2025 at 1:44 PM

Autre alternative, créée en 2016,  Mastodon,  réseau social décentralisé et sans publicité, gagne en popularité auprès des acteurs publics, offrant un cadre propice à  « une communication institutionnelle respectueuse des utilisateurs ». Cette plateforme reprend également les codes de la plateforme avec des publications, des hashtags, des possibilités de reposter, de mettre en favoris des publications ou de suivre des comptes. Mastodon, pensé et conçu comme un bien commun, se veut plus éthique. Ce réseau a été créé il y a huit ans par Eugen Rochko, jeune Allemand encore à  l’université. Son créateur a récemment déclaré son intention « de transférer sa propriété personnelle des marques et des actifs de Mastodon, y compris les droits d’auteur sur mon code, à  l’association à  but non lucratif Mastodon ». En 2023, Mastodon a récolté 545 000 euros de dons sur lesquels reposent la quasi-entièreté de son budget, comme le précise le média Bastamag. La plateforme cherche à  sécuriser sa pérennité à  travers la création d’une fondation dédiée.

Les acteurs publics citent aussi souvent les traditionnels LinkedIn et Instagram, comme plateforme existantes et potentielles alternatives efficaces à  X, en raison de leur image restée très bonne.

« Notre propos est de privilégier Bluesky et Mastodon dans nos publications. On veut investir ces nouveaux espaces démocratiques qui permettent un dialogue pluraliste o๠les personnes sont propriétaires de leurs données » explique Magali Payen, fondatrice du mouvement onestprêt, qui co-organise la campagne HelloQuitX, pour La Relève et La Peste.

  • L’outil HelloQuitX lancé par des chercheurs du CNRS

Une équipe de chercheurs du CNRS a lancé une plateforme « open portability » permettant la migration rapide et gratuite de toutes les données d’un compte aujourd’hui hébergé sur X vers un compte Buesky et/ou Mastodon. Le collectif citoyen « HelloQuitX » l’a promue et a construit une campagne de mobilisation autour de ce projet.

La proposition de la plateforme  HelloQuitteX de transférer ses données et ses abonnés notamment vers Bluesky n’a pas encore été retenue par des musées et lieux culturels.

Les lieux culturels semblent vouloir attendre avant de se lancer dans la publication de contenus sur de nouveaux réseaux sociaux.

Cette prudence est également un geste pour l’environnement et une manière de rechercher un peu de sobriété numérique.

SOURCES: presse

PHOTOS : vue de la galerie des sculptures du Petit Palais © Paris Musées / Pierre Antoine

Date de première publication : 10/03/2025

Le Musée des Beaux Arts de Lyon, le Palais de la Porte Dorée, Paris Musées, et le Voyage à Nantes sont membres du CLIC

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